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Les avis de - Zablo

Visualiser les 156 avis postés dans la bedetheque
    Zablo Le 03/07/2024 à 09:24:31

    J’aime beaucoup cette BD...

    Gradimir Smudja est un artiste issu de l’ex-Yougoslavie, qui connaît donc les régimes totalitaires. Auteur complet sur cet album, ses couleurs sont influencées par Vincent Van Gogh. L’impressionnisme de cette œuvre souligne le mouvement, la fuite... Vu son histoire personnelle, le sujet de la BD et son époque, on peut comprendre...

    Car, la vie de l’américain James Cleveland Owens dit Jesse (1913-1980) est haute en couleur. Ici, la narration prend la forme d’une fable, avec des animaux et une part de fantastique, exprimant une vérité générale teintée d’humanisme, tout en indiquant les principaux éléments biographiques du sportif. Cela change de ce que l’on peut voir habituellement dans la BD du réel... Un apport poétique qui fait du bien.

    Le mythe rencontre alors l’Histoire : Jesse Owens est devenu le meilleur sportif de son temps, malgré les obstacles qu’il a du franchir, en particulier ceux de la ségrégation raciale (il est petit-fils d’esclave) et de la pauvreté (il est le dernier d’une fratrie de 11 enfants, le père a été paysan et la mère lingère). Heureusement, il a fait aussi quelques belles rencontres (son entraîneur Charles Riley ou le sportif allemand Luz Long), ou pas... Il a ainsi piqué la vedette à Adolphe Hitler (pour rappel, ce dernier avait été désigné chancelier allemand par le président Hindenburg en 1933, les nazis profitant du rapprochement des conservateurs et de l’aide du grand patronat, notamment le banquier Von Schroeder, avant de s’emparer totalement du pouvoir en deux ans), remportant quatre médailles d’or aux JO de 1936 (et pourtant il sera snobé par le président Roosvelt à son retour). En effet, les Jeux Olympiques avaient été attribués à l’Allemagne en 1931, alors que l’extrême-droite n’était pas encore au pouvoir...

    Et, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec notre époque... Avec les inégalités de traitement, mais aussi avec l’atmosphère nauséabonde de la France contemporaine et la montée en puissance des idées fascistes, de l’esthétisme totalitaire à l’approche des JO (cérémonie de la flamme...). Pourtant, les performances de Jesse Owens et surtout les événements de la Seconde Guerre mondiale (la France Libre était composée en majorité de soldats des colonies, en particulier des tirailleurs sénégalais), avaient déjà prouvé l’invalidité des thèses racistes... Or, comme aux JO de Berlin en 1936, ceux de Paris 2024 risquent à nouveau d’être récupérés par un chef de l’exécutif fasciste et raciste (je pense évidemment à Jordan Bardella).

    On marche sur la tête, on court au drame...

    Zablo Le 02/07/2024 à 23:58:14

    Pour public averti...

    Dans cette histoire, un jeune homme a du mal à s'affirmer et souffre de troubles de l’érection, pour ne pas dire que sa copine ne le fait pas trop bander... Et, dans une société vénitienne toujours assez machiste, ça fait tache. Alors, il navique sur les sites pornographiques, fasciné par le sein maternel et la lactation érotique. Dès lors, son cœur balance, entre Stella et Ludovica, entre la fidélité et la passion aveugle.

    Si l'histoire est d'une grande profondeur, abordant avec plus ou moins de finesse le thème de la sexualité, l'ambiance débridée de cet album en fera blêmir plus d'un, bigot ou pas...

    Les graphismes sont fouillés, mais là aussi un peu bizarres, notamment lorsqu'il s'agit de faire voir la chair, les poils, les veines, la viscosité...

    Or, le découpage et la composition sont particulièrement intelligents et n'ont rien à envier à un Chris Ware ou à un Martin Panchaud. C'est géométrique, maîtrisé et tout simplement moderne. Le fond comme la forme de la BD m'ont convaincu et je lirai dès que possible les autres BD de Miguel Vila.

    Alors, si vous avez le cœur bien accroché et que vous êtes prêt à sortir des canons de la beauté classique, ceux de la publicité par exemple ou encore de Manara...

    Lancez-vous.

    Zablo Le 27/06/2024 à 21:30:50

    Un petit coffret...

    Qui contient 7 carnets dessinés, de 48 pages chacun... Ainsi qu’un plan et une carte, auxquels on peut ajouter une bande-son d'ambiance, en cherchant sur le net.

    Le storytelling est surréaliste et l’expérience quasi unique en son genre. L’atmosphère se fait irréelle, interrogeant les lois de l’art 9, ses limites.

    Et quel plaisir de tenir cette œuvre intimiste entre les mains, au format si particulier, qui rappelle de lointains souvenirs, et plus encore...

    J’avoue, je n’ai pas compris grand chose lors de ma première lecture (beaucoup moins que Number Five par exemple), mais j’aime beaucoup le trait de Doublebob, émouvant...

    J’ai savouré ces " doses " une par une, en prenant le temps. Une parenthèse mystérieuse et poétique, dans ce monde de brutes.

    ...Pour rêver gaiement.

    Zablo Le 26/06/2024 à 16:46:31

    Je trouve cette BD jeunesse très bien.

    Les dessins, certes assez simples, sont d'une grande expressivité, qui n'est pas sans rappeler le trait de Lisa Mandel. La composition est maîtrisée...

    Tout comme l'histoire, qui raconte par la voix d'un dragon, la vie d'une jeune femme, se comportant comme un homme. Ce conte traditionnel coréen, auquel on donne ici une dimension assez universelle, n'est pas complètement naïf. Il est même d'un progressisme rare, qui déplaira probablement aux ayatollah de la famille classique (un couple marié homme/femme avec enfants).

    Une lecture drôle et positive, qui conviendra donc aux grands comme aux petits...

    Dès 8 ans.

    Zablo Le 24/06/2024 à 21:09:03

    Qu’est-ce qu’il se passe en cas d’arrivée au pouvoir de l’extrême droite ?

    C’est ce que raconte Alan Moore, associé au trait rétro de David Lloyd, dans une puissante diatribe. Comme l’avaient fait auparavant Orson Wells avec 1984 ou Ray Bradbury avec Fahrenheit 451...

    Sans surprise, il faut s’attendre au pire... L’idéologie du régime en place dans V pour Vendetta est nationaliste et raciste, les libertés collectives et individuelles sont supprimées, les livres brûlés, les minorités opprimées, la science perd toute éthique... Tout ça pour une vision galvaudée de la « sécurité » et pour une « morale » de façade. Au final, personne ne sort vraiment vainqueur d’un régime politique anti-démocratique, tant la corruption est partout.

    On pourrait se dire, ce n’est qu’une fiction, une dystopie, une vue de l’esprit... Or, le fascisme est une réalité historique. Déjà, Mussolini avait concrétisé ce projet fou en 1922, avec l’aide du grand patronat : en s’appuyant sur la peur du « rouge » et les milices, tout en faisant miroiter des réformes sociales ; il avait finalement imposé une dictature, dans la semi-légalité ; un ordre autoritariste et violent, centré autour de la personnalité d’un seul homme, le Duce. Ce même fascisme avait ensuite servi de modèle pour Adolphe Hitler (chancelier allemand en 1933 et instigateur de la « Solution finale » pendant la Seconde Guerre mondiale) et son partenaire français Philippe Pétain (1940-1944, condamné à mort par la Haute Cour de justice pour ses méfaits, avant d’être gracié par De Gaulle pour son vieil âge).

    A l’heure où les héritiers de Pétain (c’est-à-dire le RN) risquent de prendre les rênes du pouvoir exécutif en France, l’histoire de V pour Vendetta n’a plus rien de futile. Elle est tragique et doit nous pousser à réfléchir sur notre vote, sur notre engagement démocratique. Si le vote est une façon d'exprimer son mécontentement (ce n'est d’ailleurs pas la seule manière), plutôt que de passer par la violence (c'est ce que disait déjà Victor Hugo en 1850), il ne faut pas non plus en oublier les conséquences... On pourrait d’ailleurs comparer avec les expériences de Trump, Bolsonaro, Milei, Poutine, Netanyahou, Erdogan, Orban, Meloni... Tous se sont alliés à l’extrême droite pour gouverner, quand ils n’en font pas eux mêmes partie. Qui pourrait qualifier leur bilan de positif ? Sont-ils prêts à renoncer au pouvoir ?

    A lire absolument.

    Zablo Le 23/06/2024 à 11:56:57

    Inutile de lire le nouveau Gaston...

    Si la couverture ne me branchait pas trop au départ, j’ai finalement pris mon pied ! Et pourtant, je l’ai lu dans des conditions affreuses... mais pas autant que la situation dans laquelle se trouve l’héroïne : après avoir été invitée chez une patiente, elle se retrouve nez-à-nez avec un cadavre... Les problèmes lui collent ainsi à la peau pendant tout l’album, sans que cela n’entrave sa curiosité, parfois un peu malsaine pour une psychiatre...

    Car, ce personnage féminin est particulièrement attendrissant, sortant des carcans de la BD classique : que ce soit au niveau de sa physionomie, souple et élancée, de son look, libéré et élégant (d’ailleurs elle n’est pas sans me faire penser à l’autrice Cy), ou de sa personnalité émancipée et extravertie.

    Le rythme est effréné et j’ai gloussé comme un dindon du début à la fin : face à la grande indépendance de l’héroïne et ses prises de décisions désabusées, qui fait avancer l’histoire à elle seule, avec son humeur changeante, ses petits mensonges ou au contraire son honnêteté déconcertante, ses prises de bec, son hygiène de vie décomplexée, ses manies rigolotes, ses névroses utiles...

    Mais, en plus de ce personnage particulièrement bien pensé, que j’aurais plaisir à revoir... Jordi Lafebre maîtrise son art. Il sait jouer avec notre frustration et éclairer les dessous de l’image... Il se sert également de toute une palette de gags pour nous faire rire, allant de l’humour badin jusqu’au comique macabre. Et pourtant, il partait de loin, tant la mort et les questions d’héritage sont des sujets délicats...

    Au final, un chef-d’œuvre drôlesque du neuvième art, au scénario complexe (quelque part entre les thèmes des jeux de société La course à l’héritage et le Cluédo) et progressiste (féministe...), mais surtout qui nous faire rire à chaque page, à chaque vignette...

    Ce n’est peut-être pas un très bon polar, mais je m’en contrefous... parce que c’est une BD excellente, à l’humour génial et dans l’ère du temps !

    ...La relève est là.

    Zablo Le 22/06/2024 à 20:49:51

    Dans cette deuxième et dernière partie, le rythme de l’histoire s’intensifie.

    SPOILER : on apprend que « l’armée de la paix », que Number One cherche à préserver coûte que coûte, contre le putsch de l’armée régulière, est peuplée d’êtres humains génétiquement (?) modifiés, aux liens de solidarité forts. Imaginés et programmés par « Papa » (le lapin au visage de Moebius) dans une perspective utopiste, certains sont doués de pouvoirs inattendus, surnaturels, incontrôlables... qui bouleversent littéralement le cours de l’histoire.

    L’esthétisme de la série prend une nouvelle tournure, transcendant totalement la narration. En effet, Taiyou Matsumoto s’amuse toujours plus avec les images, jouant avec elles, les déformant, donnant à voir des sensations radicales, des contrastes saisissants : joie/tristesse, calme plat/violence extrême, enfance/âge adulte, naturel/aliénation, réel/onirisme, gentillesse/sadisme, le noir et le blanc...

    Matsumoto maîtrise « l’art neuf », comme jamais avant lui, faisant la synthèse de tout ce qui a pu le toucher en ce sens, depuis son enfance. Ce génie graphique autant que narratif s’affirme de page en page, de vignette en vignette. Je suis resté scotché face aux pages 342-343 par exemple (scène du bateau), où le storytelling se joue sur plusieurs degrés. Il y a notamment un effet de parallélisme, entre les bandes horizontales représentants Mike à gauche et ses poursuivants à droite, qui subissent l’intrusion violente du camp adverse, souffrance et vice n’étant le monopole de personne... Un huit-clos oppressant, où la cruauté des combats est amplifiée par un coup de pinceau éloquent (coup de crosse), par les taches de sang et autres impacts de balle. Les scènes sont riches en détails, Matsumoto jouant sur les regards, les reflets des lunettes, les expressions du visage, assombries de hachures au crayon ou à la plume. La légère distorsion des décors, ainsi que les diagonales des cases, donnent une impression de vitesse. Tout ça sur fond noir...

    Au final, Number Five vient finir son œuvre, si insensée, si inexplicable... Est-ce qu’il cherche à (re)trouver son Humanité, en détruisant le dernier symbole des expériences scientifiques de « Papa » ? Est-ce qu’il va à l’encontre d’une forme de déterminisme, se libérant d’un système qui l’avait fait « Number Five » ? S’agit-il pour lui de fonder un foyer ou plus trivialement d’une compétition sanglante pour conquérir une femme, pourtant peu séduisante ? D’ailleurs, quelles sont les capacités réelles de Matriochka : manipuler, apaiser, guérir ou rendre fou ? Est-ce que Number One fait figure de néo-Jésus, sacrifié au profit des autres ? Finalement, ne serait-ce pas un plaidoyer, quoique désabusé, pour une paix réelle dans le monde, où tout le monde aurait sa place ? Mais aussi un message de prévention, à la jeunesse, contre les manipulations médiatiques de l’opinion, les dérives de l'armée et autres avancées technologiques incontrôlées ?

    Tant de questions... Sur le plan moral, je pense que les idées de Tayou Matsumoto pourraient être rapprochées de celles d’Hayao Miyazaki : engagé pour le pacifisme, mais aussi très sensible aux enjeux de l’Anthropocène. Pourtant, son œuvre est beaucoup plus dense que ça, si complexe...

    De mon point de vue, Number Five est surtout l’œuvre la plus personnelle de Taiyou Matsumoto. Paradoxalement, ce manga est autant une œuvre hommage, à ses « maîtres », qu’une BD émancipatrice, l’artiste volant de ses propres ailes, atteignant des sommets...

    Zablo Le 22/06/2024 à 13:32:48

    Je trouve ce livre assez moyen : j'aurais préféré qu'ils se concentrent sur la première partie de la saga (comme ils l'ont fait pour XIII récemment). Parce que les tomes 6 à 9 m'ont ennuyé, le trait de Bourgeon ayant pris un sacré coup de vieux... Contrairement aux tomes 1 à 5, qui me fascinent depuis toujours, et pour lesquelles j'aurais aimé avoir d'autres clés de compréhension.

    Zablo Le 22/06/2024 à 13:27:49
    Gaston (Hors-série) - Tome 2023 - Gaston Lagaffe - La véritable histoire d'un anti-héros

    Un hors-série intéressant sur le génie de Lagaffe, découpé en trois parties : métro, boulot, dodo...

    Les auteurs insistent sur l’aventure collective de l’anti-héros, avec des extraits d’interviews de Franquin, mais aussi d’Yvan Delporte, de Jidéhem ou encore de Frédéric Jannin... Cependant, la controverse sur le nouveau Gaston et le droit moral de Franquin sur son œuvre est éludée...

    Or, Gaston est bien le double de Franquin, lui ayant permis dans le temps de se libérer de la contrainte éditoriale de Spirou, de s’amuser, de sortir de sa dépression et d’y insuffler des valeurs anti-systèmes et écologiques... Tout ça dans la joie, la bonne humeur et une grande dose d’absurde et de dérision...

    D’où ma réticence à ce que Gaston soit repris par quelqu’un d’autre... quel qu’il soit.

    Zablo Le 19/06/2024 à 17:14:13

    Cette BD porte bien son nom...

    Parce que Julia Wertz cherche un moyen de guérir son alcoolisme (spoiler, c’est vraiment pas facile, mais on peut y arriver avec des médicaments, des séances de psychothérapie et quelques bons amis), mais aussi, dans une autre mesure, parce que les hommes qu’elle rencontre sont imbuvables (ses frères, son logeur, ses petits copains, certains hommes dans la rue...).

    Quelque part aussi parce que cette BD, sur le plan formel, est particulièrement insipide. Si l'objectif était de faire une BD imbuvable, c'est réussi : trait simple, « qui va à l’essentiel » (France Inter), décor généralement épuré voir absent, découpage redondant... Idem pour la composition, saturée de narratifs et autres bulles en cascade. Les rares variations de style n'y changent rien.

    Certes, les personnages, aux grands yeux caractéristiques et aux corps polissés, sont dessinés avec une grande régularité... Mais, marre de ces romans graphiques à portée autobiographique où l'esthétisme passe complètement à la trappe !

    Les angoisses de Julia Wertz et son storytelling, qui prend trop souvent la forme d'anecdotes, dans une organisation assez chaotique, m'ont rebuté. Je ne suis apparemment pas le public cible.

    C’est dommage, parce que le fond du propos est éminemment intéressant : que ce soit son combat intérieur contre l'alcool et les discriminations, ou encore sa vision aiguë de New York, ainsi que du monde du Comics indépendant.

    Et puis, il est vrai, il y a beaucoup d’humour (pour Le Monde c’est « hilarant », pour L’Obs la BD est « drôle et attachante », « humour cru » selon Washington Post...), bien que je n’ai franchement ri qu’une fois sur les 318 pages de ce roman graphique. Probablement la faute d’une traduction problématique, imbuvable encore une fois...

    Je me répète, le titre français est bien trouvé.

    Zablo Le 19/06/2024 à 14:51:11

    Quelle BD vous a fasciné le plus dans votre jeunesse ?

    Pour ma part, c’est sans conteste Number Five, manga de Taiyou Matsumoto (Amer Béton, Ping Pong... là encore un auteur qui mériterait un grand prix). Quoique j’ai du mal à m’y replonger maintenant, tant sa proposition esthétique et son storytelling sont délirants.

    Mais de quoi ça parle ?

    Dans la première partie de cette « intégrale » (en réalité je vous conseille de lire plutôt la première édition française des albums de N°5, avec quelques pages en couleur et des couvertures magnifiques, si vous avez l’occasion...), l’un des membres du « Conseil Rainbow » (sortes de super-héros institutionnels, garants d’un monde futuriste sois-disant unifié et pacifié), Number Five, se met à liquider ses congénères. S’agit-il d’une vengeance ? D’un acte de rébellion ? D’un délire mystique ? Ou tout simplement d’un pétage de plombs ? D'ailleurs, est-ce que Number Five peut-être considéré comme un anti-héros ? Un vilain ? Un méchant ?

    La première partie ne permet pas de répondre à toutes ces questions. D’ailleurs, même après avoir lu l’ensemble de la série plusieurs fois, j’ai toujours un doute quant au sens de cette œuvre... Un article du site Le jardin de Shuwa a intelligemment mis au jour quelques clés de compréhension (évoquant en particulier l’hypothèse d’une domination magique de Matriochka, la femme enlevée par N°5, mais aussi l’idée d’une IA qui transcende les personnages, des machines de chair, des dieux esclaves...), salutaire tant le sujet est occulte.

    Et, la lecture de Number Five a été si intense, que je me rappelle encore de la bibliothèque qui me l'a fait découvrir, du lit dans lequel j’ai achevé sa lecture, des copains avec qui j’en ai parlé, de la table où j’ai recopié ses dessins... Une véritable madeleine de Proust...

    Je me souviens surtout du choc, celui de l'initiation à l'univers et au trait fulgurant de Taiyou Matsumoto : parfois très détaillé, ou alors complètement caricatural, voir enfantin. Jamais je n’aurais pu imaginer un tel mélange des genres, un tel éclectisme (ses sources d’inspiration, comme Tezuka ou Moebius, sont aussi variées que ne l’est la BD moderne). Il capte avec justesse l’essence des images, donne vie à ses dessins, abreuvés de sensations, de symboles et de rêves. Un aspect surréaliste qui transparait aussi dans son découpage, passant souvent du coq-à-l’âne, du moins en apparence... Riche en émotions donc, mais très exigeant à lire (les apparences sont trompeuses).

    Car, on sent dans cette œuvre une dimension métaphysique et politique, à portée universelle, mondiale, mélangeant les cultures, les religions voir les langues humaines et même les espèces animales, dans un très large pot-pourri. Matsumoto s’inspire aussi de son époque : c’est-à-dire le monde à la fin de la guerre froide, point tournant de l'hégémonie américaine... Il rassemble ainsi, pour faire simple, un faisceau d’idées contemporaines : sur l’écologie, le réchauffement climatique, la surpopulation, le malthusianisme, le développement des IA, les OGM, la médiatisation de l'opinion publique... et pose encore d'autres questions, éthiques et morales, sur les gardiens de la paix... Dans le manga, le rapt de Matriochka par N° 5 apparaît ainsi comme l’élément perturbateur, un grain de sable dans un engrenage beaucoup plus vaste, « utopie » qui dévoile peu à peu son vrai visage. Le cocktail est particulièrement chargé et épicé...

    C’est peut-être ça qui me refroidit un peu dans ma lecture actuelle de Number Five. Car, si Number Five a quelque chose de prémonitoire (publié au Japon à partir de décembre 2000, il évoque déjà la guerre asymétrique USA vs terroristes et les remises en cause de l’Occident, notamment par les pays émergents, les BRICS...), je trouve que les valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme, l’être humain lui même finalement, pourraient être mieux mis en avant... Ou en tout cas plus clairement.

    Une BD qui suscite cependant toujours mon intérêt, sur les plans artistique et narratif. Elle est d’ailleurs très loin des propos polémiques et de l’immoralité d’un Frank Miller (Sin City, 300...) par exemple.

    Malgré toutes ces questions sans réponse...

    Zablo Le 17/06/2024 à 21:37:19

    Une BD intéressante, qui renoue avec la notion (anglo-saxonne) de front-pionnier et questionne notamment l’appropriation des ressources par de grandes entreprises... Si ce n’est qu’il s’agit ici de science-fiction, avec des vaisseaux densément peuplés, de grandes étendues spatiales et des planètes gigantesques. Contemplative !

    D’ailleurs, Guillaume Singelin a un style reconnaissable entre mille et ses dessins fourmillent de détails. Ses personnages caractéristiques (sortes de figurines Pop en plus vivant) sont attrayants. La colorisation numérique est également réussie. Quel travail ! On touche au génie !

    Si le scénario est plutôt bon (toujours Singelin), avec une dimension polyphonique (j’aime beaucoup ce mot...), je dois aussi avouer que j’ai parfois décroché... Il y a quelques longueurs et même un goût de déjà vu. Ceci étant dit et nonobstant son rapport qualité/prix attractif (quelle magnifique édition !), Frontier n’en demeure pas moins un digne représentant du neuvième art.

    Par contre, je n’adhère pas à la démarche du festival d’Angoulême et à son sponsor en carton, qui se servent de BD étiquetées « écologistes » pour faire du greenwashing. « How disgusting ! » dirait-on en bon anglais...

    Si cela n’enlève rien à la qualité de cette BD, on doit bien admettre que, un peu comme pour les personnages embarqués dans cette aventure, ils n'ont pas dit non...

    Zablo Le 17/06/2024 à 08:25:57
    Deep (Mathieu) - Tome 2 - Deep It

    Au-delà d’une couverture minimaliste...

    Deep it (« au fond ») est une réflexion bédéesque sur l’Intelligence Artificielle et la fin du monde, faisant « suite » à Deep Me. Plus profond que Carbone et Silicium (Bablet), avec un vocabulaire assez technique, le dessin va pourtant à l’essentiel, épuré. Mais, au fil des pages, Marc-Antoine Mathieu fait évoluer l’esthétisme de son œuvre, jouant sur des nuances de gris (non sans écho avec Larcenet), un graphisme pointilliste, mais aussi sur de longs zooms (vertige métaphysique) et une composition lénifiante. Jubilatoire !

    Car, on connaît le talent de Marc-Antoine Mathieu pour l’illustration de concepts abstraits, de figures de style, comme en témoigne l’utilisation de ses BD en cours de français... C’est un explorateur de la BD, de ses formes narratives et plastiques (ce qui ne l’empêche pas de s’inspirer de ce qui existe déjà).

    Je n’ai pas peur de dire que c’est un indispensable. Marc-Antoine Mathieu est l’un des rares à faire véritablement de la poésie et à donner aussi un sens philosophique à ses BD (sans faire une vulgaire biographie tirée d’une fiche Wikipédia par exemple). Son œuvre positive et sensible en a inspiré plus d’un...

    ...Quand est-ce qu’on lui accordera un grand prix à Angoulême ?

    Zablo Le 16/06/2024 à 11:21:46
    Friday - Tome 1 - Livre 1

    De page en page, un halo de lumière guide notre regard...

    Par le prolifique Ed Brudbaker et les artistes espagnols Marcos Martin et Muntsa Vicente, BD découverte par le biais de la sélection jeunesse d’Angoulême 2024.

    Malgré leurs têtes de premiers de la classe, les personnages sont très attachants. J’ai apprécié l’ambiance fantastique de la BD, à la Cthulhu, mais dans un mode mineur, puisqu’il s’agit plutôt d’une œuvre à destination des jeunes (focus, personnages, fantasmes et objets juvéniles...). Pas sans faire rappeler les bouquins de la collection Chair de Poule, à faire frémir...

    Et ils ont de la chance les ados qui choisiront de lire cette BD, plutôt que de rester prostrés sur leurs écrans, parce qu’elle est excellente ! Le scénario fouillé et les dessins épurés, dans la veine du neuvième art européen, sont d’une grande maîtrise. La colorisation et le lettrage sont tout aussi magnifiques, comme savent bien le faire les auteurs de Comics, intensifiant la narration. Un beau travail d’équipe !

    La série fourmille de bonnes idées, avec des mises en abyme récurrentes, un jeu sur les temporalités et une multitude de procédés pour nous plonger dans ce récit hallucinant. Il y a aussi une dimension morale (au sens philosophique du terme). C’est donc un indispensable pour les rayons Jeunesse de nos bibliothèques. Mais c’est aussi très bien pour des adultes, qui souhaiteraient refaire un passage en enfance, le temps d’une BD.

    ...J’attends donc avec impatience l’éclairage du tome 3 sur cette enquête, la révélation finale.

    Zablo Le 16/06/2024 à 10:33:24
    Zombillénium - Tome 1 - Gretchen

    Très bonne BD mêlant enfer et parc d’attractions...

    L’un des chefs-d’œuvre d’Arthur de Pins, avec La marche des crabes, que j’avais beaucoup aimé aussi. On y retrouve son humour, sa sympathie, mais aussi ses fameux dessins vectoriels (voir la vidéo de Funenbulles à ce sujet), ainsi qu’une critique sous-jacente du monde de l’entreprise.

    Même si cette BD est plutôt à destination des adolescents (dans la droite ligne de Spirou), et que la série s’essouffle un peu vers la fin (je trouve que le tome 5 est en dessous des autres), elle reste très agréable et intéressante, même pour un adulte.

    A lire !

    Zablo Le 07/06/2024 à 18:38:04
    Dédales (Burns) - Tome 3 - Tome 3

    Un bon album, que j’ai lu après le boulot.

    J’aurais voulu qu’il me permette de me changer les idées, m’immerge dans un ailleurs. Au final, la lecture de cet album m’a plus angoissé qu’autre chose... Ce n’était peut-être pas une très bonne idée non plus quand on connaît l'auteur...

    Charles Burns raconte dans ce tome 3 la fin du tournage et les amours des personnages, en particulier Brian et Laurie, puisque la narration est polyphonique.

    La proposition graphique est intéressante, la qualité du style doit être soulignée. Mais je trouve qu’il y a un contraste déstabilisant, entre certaines planches magnifiques et d’autres plus banales, avec des erreurs de proportion (exemple : le personnage de Laurie). On est loin de la régularité d’Hergé...

    La BD est complexe, jouant sur plusieurs degrés de lecture. Elle est aussi bizarre, comme un « melting pot » de rêves, mais dont le récit s’inscrit tout de même dans une forme de « réalité »... La fin est magistrale et m'a touché. On sent le talent de l’auteur, quoique je n'ai pas compris toutes ses références (je suis un inculte du cinéma d’horreur).

    Pourtant, les thèmes abordés me touchent généralement : rousse, homosexualité, cinéma, anxiété, ballade en montagne, médicaments, relations entre jeunes et moins jeunes, alcoolisme, onirisme, extra-terrestre... Mais peut-être aussi que, à force de lire des romans graphiques, cette BD de 88 pages me paraît trop... condensée.

    A lire, si vous aimez les atmosphères malsaines.

    Zablo Le 05/06/2024 à 18:06:08

    Lire Nick Drnaso est une épreuve en soi...

    Dans Acting class, des personnages fragilisés psychologiquement et socialement participent à un atelier de théâtre « gratuit ». Leur vie va en être bouleversée...

    A dire vrai, j’ai un peu piqué du nez... J’ai pris une centaine de pages pour m’immerger dans ce récit exigeant, à la manière des personnages, peu à peu séduits par les mises en situation auxquelles ils participent. Au départ, j’ai trouvé la proposition graphique de l’auteur particulièrement terne et redondante (gaufrier en format 5x3 cases ; répétition sans fin de plans resserrés, soulignant les expressions des visages, assez semblables d’ailleurs ; austérité de cette ligne claire...), quoiqu’elle participe à sa vision de l’Amérique, celle d’une société moribonde.

    Graduellement, je me suis pris d’intérêt pour ce récit profond et complexe. Le jeu sur la « réalité » des personnages et les rôles qu’ils interprètent (différence indiquée par la fonction contextualisante du décor) est saisissant. Les erreurs d’« acting » et autres interventions intempestives sont jubilatoires, dans cette mise en abyme fascinante, cette mise en scène d’un jeu de rôles, où les repères du « réel » s’effacent peu à peu... Le metteur en scène, John Smith, semble d’ailleurs prendre un caractère omniscient, accompagnant les autres personnages dans leur engagement croissant, qui semblent improviser, se réinventer, au moins intérieurement... Mais, tout ce beau monde est-il aidé ou bien manipulé ? Certains ne finissent-ils pas par se mentir à eux-mêmes ?

    Car, on sent que Nick Drnaso est allé chercher son inspiration dans certaines formes de développement personnel, de thérapie, comme les constellations familiales (critiquées par certains professionnels de la santé pour leur caractère médiumnique). Si l’auteur fait ressentir l’intensité et la puissance des émotions que traversent ses personnages, pour qui l’atelier peut avoir du sens, on se rend compte rapidement que des formes d’altérations de la réalité (non sans écho avec les dérives sectaire de la BD Monica) en touchent certains, rentrant dans un monde imaginaire, affectant leur santé mentale.

    Au final, cet ouvrage m’a surtout donné une perspective nouvelle sur le « médium » BD, d’une grande diversité quand on prend la sélection d’Angoulême 2024. Quand je vois le personnage de Denis, qui s’invente peu à peu un rôle de surhomme adulé par tout le monde, je me demande si ce n’est pas ce qui se passe parfois aussi en BD. En d’autres termes et au risque de paraître un peu provocateur, les « super héros » ne seraient-ils pas le produit d’une société névrosée ? C’est en tout cas une réflexion propre au Comics « indépendant », c’est-à-dire sans « super héros »...

    Mais, donner son avis n’est pas toujours si facile et il faut savoir s’arrêter quand on commence à sortir de son domaine de compétence.

    Zablo Le 04/06/2024 à 20:11:21

    Chichement vêtu et équipé d’une simple pelle, un petit personnage noir et blanc trace sa route, à la force des bras : un chemin lent et sinueux, le long d’une crête... Énigmatique.

    Ce petit bonhomme, c’est le père de l’autrice, qui a fini par lui raconter l’histoire de son enfance, avec force de détails et richesse du vocabulaire, parfois très technique. Lika Nüssli délaisse ainsi le design, pour se projeter dans un autre univers, celui des campagnes suisses après la Seconde Guerre mondiale, le temps d’un roman graphique.

    Et quel récit saisissant ! Loin de sa famille, le petit Ernst est placé dans une autre ferme, pour aider aux champs, en échange d’une monnaie... de singe. La vie y est dure et ses gérants ne sont pas tendres avec lui, loin de là, même si Ernst semble faire du bon boulot.

    Le trait sombre et épais de Lika Nüssli, vient souligner les émotions, bigarrées, qu’a traversées son père à cette époque : trait parfois fourni et délicat, souvent plus lâché et simple, voir hors de contrôle, avec des gribouillis et autres gloubi-boulga d’images, soulignant toujours avec justesse la détresse du jeune garçon, confronté à un équilibre précaire entre son labeur agricole, l’école du village et quelques rares loisirs. Un certain apprentissage de la vie...

    Si la structure du storytelling peut surprendre, tenant parfois plus du livre d’illustration que de la BD, l’absence de cases clairement définies, l’omniprésence de ce fond blanc et le dépouillement de la composition prennent rapidement sens. En effet, on y ressent la routine et l’âpreté des conditions de vie et de travail d’un enfant.

    J’aime les libertés prises par Lika Nüssli, dans son dessin, pour caricaturer ce maître trop cruel, qui exploite plus faible que lui, comme beaucoup à cette époque. De même, le corps d’Ernst, devenu serviteur docile, se transforme selon les émotions, les aléas du travail et les sévices qu’il subit.

    Certes, c’est une éducation à la dure et on pourrait penser qu’il s’aguerrit... Mais, dans cette société d’après-guerre encore peu mécanisée, le travail fragilise aussi les corps et use les esprits. Au final, le père de Lika Nüssli n’est-il pas devenu, à ce moment-là, un colosse aux pieds d’argile, un homme d’apparence forte mais aux blessures profondes ?

    Dans tous les cas, après avoir fini l’album, on ne verra plus de la même manière le paysage de la couverture, d'apparence pourtant si tranquille...

    Zablo Le 03/06/2024 à 19:02:00

    « Quand Phèdre rencontre Mobutu »

    Plongé au cœur de la forêt équatoriale, on découvre dans cet album un surprenant complexe, où se déroule l'action de ce huit-clos. C’est le palais d’un dictateur déchu, T'zée, où réside encore une partie de ses proches (son fils Hippolyte, dont le nom est tiré de la pièce de théâtre antique, et sa deuxième femme Bobbi, protagonistes principaux de l’histoire, que l'on retrouve sur la couverture). Comme l’antique Mycènes, le palace est voué aux gémonies.

    Appollo, au nom à consonance mythologique, est aussi un scénariste qui connait l'Afrique et en particulier le Congo, pour y avoir lui même vécu. Ses personnages, inspirés notamment de Mobutu (dictateur à la tête de la RDC entre 1965 et 1997, ayant fomenté un coup d’État avec l'aide de la CIA contre Lumumba... ce dernier étant érigé plus tard en héros national par le même Mobutu, qui l’avait pourtant fait assassiner...) et de sa famille, sont crédibles.

    Brüno, dessinateur chevronné (on connait bien son Tyler Cross, mais je vous conseille également son Nemo ainsi que sa BD sur l’american sniper, qui a une saveur toute particulière...), adulé pour sa ligne claire, aussi saisissante que moderne, illustre avec élégance et poésie l’entre-soi de cette élite. On y ressent le simulacre d'opulence, la décontraction feinte, mais aussi une tension accrue, entraînée par la chute du patriarche. Car, peu à peu, la population se révolte contre le dictateur affaibli, se souvenant de ses crimes...

    Outre ses ressorts dramatiques, le récit, pensé à la façon d’une tragédie grecque, contient une forme d'allégresse, une musicalité toute africaine. En effet, les auteurs ont su jouer de différents dualismes, sise entre deux cultures, mais aussi entre mythe et réalité, traditions et modernité, passion et amour-vide, animalité et valeurs humaines, violence déchirante et calme plat... et enfin ils opposent un certain processus de décolonisation (T'Zée cherchant à faire de son pays une puissance indépendante) aux soubresauts coloniaux (la France de Versailles restant un modèle pour un T'Zée kleptocrate et mégalomane, malgré l’arrivé de nouvelles influences comme la Chine...).

    Parfois un peu décontenancé, notamment lorsque j'ai compris que Mobutu était comparé au héros Thésée (roi unificateur et bâtisseur), en particulier pour sa face obscure (il tue son fils à cause d’un amour interdit avec sa femme)... C’est plutôt le réalisme historique de cette œuvre, inspirée de documentaires sur le Zaïre/RDC, qui m’a bluffé. Appollo maîtrise cependant le genre de la tragédie grecque, qu'il étudie avec ses élèves de lycée à Saint-Denis de la Réunion. Finalement, le trait épais et aéré de Brüno, vivifié par les couleurs de Laurence Croix, donne toute son énergie à cette BD, participant pleinement à la fameuse suspension d'incrédulité.

    A lire !

    Zablo Le 30/05/2024 à 07:57:55
    Spoon & White - Tome 1 - Requiem pour dingos

    Un chef-d’œuvre sous-estimé de la BD d'humour.

    Dans une saine et joyeuse émulation, Yann, Jean et Simon Léthurgie nous ont concocté un scénario bourré de gags et d'énergie. On y suit les aventures d'un duo policier désopilant et particulièrement incompétent : Spoon, avorton fan de Disney et de Clint Eastwood, qui prend tout au premier degré, et White, la grande asperge facétieuse, tout de blanc et de noir vêtu, qui prend un malin plaisir à se moquer de son acolyte. Ils n'ont qu'un seul but dans la vie : conquérir le cœur de la sensuelle mais sévère Courtney Balconi. Alors, quand la journaliste se fait prendre en otage par un terroriste aigri, dans un hôtel empli de membres de la secte Azum... L'ambiance devient explosive.

    Jamais je n'ai autant ri avec une seule BD. Adolescent, je me rappelle avoir lu cet album 4 fois le même week-end et avoir ri à gorge déployée, à ne plus savoir m'arrêter. Que ça fait du bien... Encore aujourd'hui, les multiples gags qui s'enchaînent de page en page me font sourire. Souvent grotesque, les auteurs jouent aussi sur le comique de répétition, la parodie (ici piège de crystal notamment), l'absurde, le mauvais caractère des personnages ou les situations dans lesquelles ils s'embarquent... Le trait de Simon, caricatural, va dans ce sens. Cela serait beaucoup moins drôle si les armes ou les scènes de combat étaient dessinées avec réalisme... Mais Spoon et White est aussi un récit complexe, polyphonique, où la tension est tangible. Les autres albums garderont le même format.

    A lire absolument (et jeune de préférence).

    Zablo Le 28/05/2024 à 07:58:06

    Piano

    En petit format (j’ai lu l’édition à 10 euros), paradoxalement, l’œuvre de Zeina Abirached n’est pas d’une accessibilité immédiate. Le trait de l’autrice, qui déjà n’est pas particulièrement élaboré, assez enfantin même, paraît comme compressé dans un livre trop petit pour lui.

    Crescendo

    Pourtant, c’est une œuvre d’une grande poésie. Dès le début de la BD, j’ai apprécié la qualité de son écriture, d’une grande rareté. A cela s’ajoute la beauté de la composition en noir et blanc. C’est alors le dé-clic. Les figures de Zeina Abirached, d’apparences simples, sont en fait associées pour créer des ensembles riches et complexes. Ainsi, si le découpage peut parfois paraître redondant, d’où une certaine pesanteur, il est finalement contrebalancé par la maestria de la composition, qui monte en puissance : répétition des motifs, des mots, des onomatopées, des notes de musique... qui tapissent parfois le fond des décors ; géométrie des formes, dans un style persan ou années 60 ; jeu sur les marges et disparition progressive des contours des cases, des frontières ; pleines pages, gros plans parfois radicaux ; schémas et cheminements pointillés, qui contrastent avec la musicalité de l’œuvre...

    Allegro

    J’avoue, Zeina Abirached a su me toucher au cœur plusieurs fois, dans ce récit polyphonique, évoquant son aïeul musicien, l’invention du piano oriental, mais aussi son propre bilinguisme (français et arabe libanais) : « je tricote depuis l’enfance une langue faite de deux fils fragiles et précieux » (citation extraite d'une double page du centre de l’album, mêlant auto-représentation, calligraphie arabe, police Times sur fond uni de « clic » noir et blanc). Et ce chiasme, ce déhanchement permanent pourrait-on dire, est repris allègrement dans cet art si élégant et personnel qui est celui de Zeina Abirached, dénué de pathos mais avec une profondeur aiguë.

    Forte

    Zablo Le 27/05/2024 à 08:11:35

    Un hors-série de la revue les Cahiers de la BD qui analyse avec justesse les 8 premiers albums de XIII. Au menu : interviews des auteurs, décryptage du scénario y compris dans ses premières versions, des ficelles narratives de Van Hamme, des personnages dont le charismatique major Jones, du trait brumeux de Vance, de sa composition graphique dynamique, des easters-eggs, des références au cinéma et à la pop-culture, de la colorisation gouachée de Petra... Sans éluder quelques archaïsmes, comme la place des femmes et le vocabulaire assez sexiste de l’œuvre.

    Au final, j'ai trouvé ces Cahiers de la BD - Hors Série très réussis. C'est clair, c'est lisible, c'est assez complet, bienveillant même et profond. Pour moi, c'est une synthèse indispensable, qui contient les clés de compréhension de la série XIII.

    Zablo Le 21/05/2024 à 22:56:32

    Je dois dire que je n’ai pas trouvé cette BD géniale...

    Alors oui, son sujet est touchant, racontant l’histoire de l’adoption de l’autrice, Sophie Darcq, partie de la Corée pour la France à 4 ans... Où plutôt, je rembobine, celle-ci narre le voyage mémoriel qu’elle a entrepris, vers sa famille biologique, à la fois spatial et temporel, pour retrouver ses origines, et des bribes de souvenirs.

    Mais, contrairement à ce que laisse entendre Fabrice Neaud en préface, je ne trouve pas que le sujet de l’adoption soit un thème sous-exploité en BD. Il y a pléthore de fictions où le héros est adopté (Superman et d’autres super-héros, les héros de Van Hamme comme XIII et surtout Largo Winch, Pinoko dans Blackjack, Monster d’Urasawa...) et plusieurs BD en ont déjà fait leur « sujet » par le passé : la série L’adoption par exemple, ou Yuan : journal d’une adoption de Marie Jaffredo, et surtout Couleur de peau : miel (publié à partir de 2007) de Jung (lui aussi originaire de Corée) ainsi que d’autres de ses livres...

    Néanmoins, il est vrai que cette néo-autrice amène un regard différent sur l’adoption, en l’associant notamment avec la notion de sororité. Car, elles sont en effet 5 sœurs : c’est-à-dire elle, Sophie, ses trois sœurs d’origine coréenne et l’aînée d’origine française, adoptées également (on les voit sur la couverture, toutes avec leurs hanboks, vêtements traditionnels coréens). J’aurais d’ailleurs aimé que Sophie Darcq développe encore plus cet aspect, qui m'intéressait tout particulièrement et mériterait d’être approfondi en BD, d’être exploité autrement que ne l’ont fait Cazenove ou Vivès par exemple... Une idée pour un autre album.

    D’ailleurs, j’aime beaucoup ces personnages sans visages, que l’on retrouve sur la couverture et dont l’identité se précise, au fur et à mesure du récit.

    Pourtant, je n’ai pas été emporté immédiatement par les dessins noirs et blancs de Sophie Darcq.

    L’esthétisme de cette œuvre évolue dans un doux et mélancolique chaos : entre le style rapide et lâché des carnets de voyage, le manga caricatural (intermèdes qui, je dois l’avouer, m’ont parfois gâché le plaisir de lecture), ou encore la précision de certains croquis, inspirés de photographies retrouvées au compte-goutte

    Ce style, composite, allie des éléments que j’avais déjà vus chez d’autres auteurs, dont ceux qui l’ont aidés dans son travail : je pense immédiatement à Fabrice Neaud (dont la précision du dessin est connue) et aux auteurs d’Ego comme X (le nom est suffisamment éloquent...), à l’éditeur Jean-Christophe Menu de l’Association (autodidacte et anticonformiste), ou même au compagnon de l’autrice, Matthias Lehmann (au style parfois très cartoon), qui a lui même sorti un ouvrage à teneur autobiographique en 2023... tous deux sélectionnés au Festival de BD d’Angoulême. Il y a comme un écho...

    Malgré la sensibilité narrative et artistique de cette œuvre, je dois donc admettre qu'elle ne me marquera probablement pas durablement.

    Mais, je suis tout de même tombé des nues, parce que pour un premier roman graphique, il y a quelque chose d'extraordinairement attachant.

    Zablo Le 18/05/2024 à 12:02:40
    The fable - Tome 13 - Tome 13

    La couverture sombre et glaçante de cet opus, représentant Satô à demi encagoulé vissant le silencieux de son pistolet semi-automatique, contraste avec le dos de la jaquette, où figurent de naïfs dessins de noël. Tout un programme....

    Car ce tome est assez marquant, non pas pour ses scènes de violence froide et calculée, mais plutôt pour son évocation de la fête... En effet, après les moments difficiles que l’auteur a fait vivre à ses personnages, Katsuhisa Minami les met en scène déguisés, mangeant des sushi et se soulant entre amis... Une représentation plutôt fidèle du noël japonais en réalité.

    Et c’est hilarant. Parce que l’auteur sait jouer une fois de plus de la tension entre la dangerosité d’un tueur de sang-froid, potentiel que Fable cherche à cacher à tout prix, et son incapacité à se comporter normalement en public, que ce soit dans ses gestes, ses expressions ou ses prises de parole. Fable cherche d’ailleurs à s’intégrer à la société en s’investissant dans un boulot normal mais mal payé, comme a pu l’expérimenter l’auteur lui même, ce qui rend son personnage principal d’autant plus touchant. S’ensuivent des dialogues lunaires, des situations burlesques à base de jeux d’alcool (sans modération) et autre concours de bras de fer plein de dérision.

    Mytho-logique !

    Zablo Le 17/05/2024 à 23:33:05
    Jumelle - Tome 1 - Inséparables

    Ce diptyque n’était vraisemblablement pas fait pour moi...

    Car, si la proposition graphique de l’autrice est tout aussi lisible qu’accessible, je dois bien avouer que je ne suis pas très sensible à son trait : les visages de ses personnages ressemblent trop à des patates, avec des visages sans nez prenant parfois la forme de becs (en particulier la maman)... D’ailleurs, malgré une composition des planches élégante et des couleurs chatoyantes, les décors ne sont pas très élaborés non plus. Dur de m’y immerger...

    Le propos du livre, qui évoque les affres de la gémellité vue de l’intérieur, est intéressant. Le storytelling graphique de cette œuvre est d’ailleurs beaucoup plus complexe que ne l’est le dessin en lui même. Indubitablement, c'est dans ce sens que Florence Dupré La Tour a su saisir mon attention, éclairer ma lanterne, faute de me séduire. Mais je dois aussi avouer que je me lasse de ces BD auto-centrées...

    J’aurais lu finalement les deux tomes, plutôt destinés à des gens proches de sa situation à mon avis, qui y seront ainsi plus sensibles.

    Zablo Le 17/05/2024 à 21:57:04

    Un titre lourd de sens...

    ...adouci par les nuages de la typographie et une couverture colorée, où figurent trois enfants, s’amusant à taquiner un poivrot, dans un champ de pâquerettes. Dès lors, on sent bien que l’autrice Aroha Travé n’ira pas par quatre chemins pour narrer les péripéties de ces gosses, dans leur village fictif...

    Cette BD, empreinte de culture fanzine et underground, est moins accessible qu’il n’y paraît au premier abord. Pour ma part, je dois avouer que j’ai été dérouté par la (trop) grande finesse du trait d’Aroha Travé, pas très lisible dans ce petit format, ainsi que par une composition très simple (gaufrier en 3x2 cases), qui contraste avec la richesse du découpage et le fourmillement des détails. J’ai également été marqué par les propos outranciers des personnages, par la dureté de leurs vies, ainsi que par les décors décadents qui les entourent. Par empathie, même s'ils peuvent parfois être grotesques voir dangereux, je n'ai eu aucune envie de me moquer de ces personnages, trop emblématiques du petit peuple et comme broyés dans un système.

    D'ailleurs, ils ont tous beaucoup de relief, ne se laissent pas complètement démonter, et on finit par s’attacher, mais plus aux enfants qu'aux parents, plus aux doux qu'aux violents... Après tout, il n’y a pas que la Syrie qui est touchée par la pauvreté, c’est aussi le cas dans nos pays développés, où les inégalités ne cessent de se creuser, notamment à l'école.

    Ainsi, j’ai fini par m’immerger dans cet univers précaire, mais aussi par adhérer au propos de cette BD, au ton tragi-comique. Parce qu’il y a des problématiques de société, révoltantes et parfois criantes de vérité... Parce qu’il y a de l’humour, assez absurde et avec des situations abracadabrantesques, tout en conservant un lien avec le réel... Mais aussi parce que l’autrice sait prendre le contre-pied de ce misérabilisme, à l’image des enfants qui trouvent toujours un moyen de jouer, pour nous faire esquisser un sourire...

    Pour moi, c’est une sorte de Tom et Nana, mais en beaucoup plus cru, punk et trash.

    Parfois j'ai grincé des dents, d'autres fois je me suis retenu de verser une larme.

    Zablo Le 14/05/2024 à 18:58:52

    Désorientant,

    Suicide Total est une BD « border line », en marge, à la fois dans son propos et dans son style graphique, Julie Doucet (Grand Prix d’Angoulême 2022) s’étant affranchi de la contrainte des cases. Tout est en noir et blanc et on ne sera pas étonné de voir des scènes de sexe ou des menstruations.

    Le début du bouquin est un peu raide, écriture/dessin automatique oblige et Julie Doucet étant en plein redémarrage, après avoir délaissé ses fanzines à consonance autobiographique pendant très longtemps. La deuxième partie a été plus à mon goût, quoique je lui préfère quand même ses œuvres de jeunesse, à l'énergie inégalable.

    Ce n’est pas non plus un authentique album, puisque « Suicide Total » prend originalement la forme d’une longue fresque dessinée, d’un leporello de 20 mètres, compressé en une centaine de pages dans cette édition de L’Association. Alors on observe, on lit, de bas en haut (les dessins ayant été croqués dans ce sens), mais aussi de droite à gauche, en diagonale, en roulant les yeux comme un fou ou un drogué...

    Puis, je suis les bulles, rares fils directeurs dans ce flux anarchique, ce déchaînement de traits noirs. Je m’en tiens au rythme, cadencé par la quantité des objets et autres personnages, unité de mesure de ces entrelacs, dont les têtes apparaissent parfois par séries, par vagues... Poétiques et musicales, certaines images sortent du lot, contrastent la composition, invitent à prendre le temps. Tandis que la profusion des monologues de Doucet donne parfois envie d’accélérer... Anxiogène.

    Alors, on découvre quelques moments de sa vie, des rêves, des thématiques qui lui sont chers... Cela peut choquer, car ce n’est pas pour rien que la BD s’appelle « Suicide Total »... ou au contraire être encourageant, tant Julie Doucet est une artiste engagée, dans son art, dans les sujets qu’elle aborde...

    Pour vivre pleinement l’expérience, je ne suis pas allé jusqu’à prendre du LSD (plutôt crever...), par contre je me suis écouté les références musicales de Doucet, indiqués en conscience dès la page de titre : Christian Death, Joy Division...

    A la manière dont on apprend une nouvelle langue, il est finalement difficile de comprendre la BD de Julie Doucet à la première lecture, en tout cas de s’en faire une idée précise, arrêtée. Par contre, on n’en ressort pas sans émotion, ni sans un sujet de débat pour faire grandir nos communautés, celles de France, du Québec, de la BD...

    ...Une expérience différente.

    Zablo Le 12/05/2024 à 15:03:39
    L'arabe du futur - Tome 6 - Une jeunesse au Moyen-Orient (1994-2011)

    La série s’achève avec le début de la guerre civile syrienne en 2011...

    Sur cette nouvelle couverture, on observe Riad et son père, qui regardent le ciel, que le patriarche pointe du doigt, alors qu’ils s’avancent dangereusement vers le gouffre d’une falaise (référence aux premiers albums, où ils se baladaient au cap Fréhel). Derrière eux, au second plan, Clémentine semble perdue, tandis que Yahya la suit l’air de rien. Tout au fond, un mur délabré, où la figure de Bachar Al-Assad est criblée de trous de balles et autres impacts d’obus... Des nuages bleus entourent la scène. On retrouve cette ambiance de délabrement sur la quatrième de couverture, où les câbles ressortent des murs complètement explosés. Des sacs poubelles éventrés jonchent le sol, clin d’œil aux lubies d’un des ses grands-pères, qui sombre peu à peu dans la sénilité à cette époque. Binational, les couleurs des deux drapeaux de Riad Sattouf sont réunis, bleu-blanc-rouge et rouge-blanc-noir-vert (qu’on retrouve dans la plupart des pays arabes, le rouge étant la couleur du sang versé par les martyrs, le blanc celle des califes Omeyyades de Damas, le noir celle des califes Abbassides qui leur ont succédé, le vert symbole des quatre califes successeurs de Mahomet dits les « bien guidés »). Dans ce décor surréaliste, empreint de symbolisme et d’art-thérapie, ressort Riad Sattouf, toujours colorié en blanc, ainsi que son farde vert, le dessin étant devenu sa nouvelle patrie, sa religion, ce en quoi il croit.

    Cette série m’aura tenu en haleine pendant plusieurs longues années. Néanmoins, elle n’a pas répondue à toutes mes questions et j’avoue que je ne serais pas contre quelques précisions, tant la période couverte par cet album est longue (1994-2011)... J’ai apprécié tout de même de (re)découvrir la formation et l’éclosion du jeune bédéiste, animé par une curiosité équivoque, avant son ascension fulgurante dans les années 2010. La fin répond également à certaines des attentes que j’avais depuis le tome 4... Une manière assez naturelle de conclure ce récit autobiographique, même si je reste sur ma faim. Mais, après tout, cela reste sa vie privée, dont il nous dévoile que ce qu’il veut bien. D’ailleurs, si j’avais dévoré le livre à sa sortie, j’ai encore plus apprécié ce tome lors de ma récente relecture, notamment parce qu’il est nécessaire d’avoir une certaine connaissance de la carrière et de l’œuvre de Riad Sattouf pour tout comprendre. J’ai aussi été moins heurté par la tristesse de certains passages, moins surpris par les événements, moins ennuyé par les narratifs et autres dialogues ou mails à rallonge. Cependant, j’ai apprécié encore plus la tension de ce récit, autour des retrouvailles avec Fadi, mais aussi de la carrière de Riad Sattouf, qui aurait très bien pu ne jamais décoller, s'il avait continué à procrastiner... Pourtant, il y a toujours cru, et c’est probablement sa principale force : « Ayant eu, dès l’adolescence, un égo géant, j’avoue avoir rêvé de publier des livres avec mon nom dessus, avoir rêvé d’avoir du succès, avoir rêvé que des journalistes du Monde me posent des questions sur mon travail... ». Il sait cependant aussi faire preuve (d’un peu) de modestie : « Mais, en ce qui concerne le Grand Prix d’Angoulême (il l’a obtenu quelques mois après la sortie de cet opus), vraiment je n’y ai jamais pensé. Passer après Druillet, Moebius et Bilal était trop abstrait, inconcevable ».

    Riad Sattouf, après avoir fait des albums sur un ton un peu trash, qui a plu à l’adolescent que j’étais (Pascal Brutal, Retour au Collège...), a su s’adresser à un public plus large, plus adulte, essayant de « faire des BD pour des gens qui n’en lisent pas »...

    ...Et, c’est l’apothéose.

    Zablo Le 12/05/2024 à 01:14:08
    L'arabe du futur - Tome 5 - Une jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994)

    Est-ce que Riad Sattouf est un génie ?

    Malgré un succès retentissant en BD, peu de médias lui donnent ce qualificatif.

    Certes, il a le "génie du titre" (qui n'est pas sans faire penser à un chef d’œuvre d'Emile Bravo, L'imparfait du futur), comme le dit poliment Anne Douhaire-Kerdoncuff sur France Inter, "L’Arabe du futur ça claque, ça surprend" (2014). Il sait aussi attirer l’œil par ses couvertures.

    Celle du tome 5 se démarque des précédentes par ses couleurs, même si j’avoue que ce n’est pas celle que je préfère. Clémentine avance vers la droite, dans un survêtement de sport qui entre en dissonance avec son geste de prière. Elle est marquée par les cernes, signe d’une dépression, assez compréhensible vu ce qu’elle traverse... mais sourit tout de même, béatement. Les deux fils qui lui restent la suivent, esquissant un léger sourire, leur cartable derrière le dos. Au loin, la plage et la mer, qui s’étendent à perte de vue (on se croirait à la fin des 400 coups de Jean-Luc Godard, réalisateur modèle pour Riad Sattoud). Sur la falaise, un phare, qui fait immédiatement penser au cap Fréhel, en Bretagne. Mais la série, qui a pris un tournant particulièrement dramatique, ne passe pas au "Gwenn ha Du", mais bien au bleu, blanc, rouge. Les couleurs du drapeau syrien sont ainsi remplacées par celles de la France, où se déroule désormais l’action. Si Fadi a disparu, le visage du "père Sattouf", pourtant condamné par la mère de Riad à la "damnatio memoriae", faute de justice, reste présent sur la première de couverture. Ces bouts de photographie s’enfoncent peu à peu dans l’oubli. En quatrième de couverture, les trois frères demeurent symboliquement unis dans le cadre qui surmonte la télé. On veut garder le souvenir de Fadi. Le taureau a lui disparu, envolé pour la Syrie, peut-être définitivement ?

    Comme d’autres, je trouve que ce tome est moins abouti que les précédents (mes préférés étant les tomes 3 et 4). D’ailleurs, je ne me suis pas délecté du trait de Riad Sattouf, mais plutôt de la complexité de son récit, qui me transporte toujours. Je reste sans cesse bouche-bée devant cette série à cœur-ouvert. Rares sont ceux qui se sont autant livrés sur leur histoire personnelle en BD, à part peut-être Fabrice Néaud et d’autres de ses compères d'ego comme X...

    Mais, même contre vents-et-marée, pour sa mère et sa grand-mère il demeurera toujours un "génie du dessin", tout comme pour sa professeure d’arts-plastiques (personnages que l’on retrouve dans cet opus). Je ne peux qu’applaudir ces femmes, qui ont su encourager le jeune Riad, à persévérer sur sa voie, celle de l’art. D’une certaine façon, on leur doit aussi cette série admirable, elles qui ont su gonfler l'égo de ce cher Riad.

    Pourtant, il a rarement été LE meilleur dessinateur (au collège, il est déjà concurrencé par d’autres élèves, comme son copain Grégory). Son père n’approuve d'ailleurs pas sa démarche (en même temps, ce dernier fait de plus en plus figure de contre-modèle pour son fils aîné). Riad Sattouf lui même semble osciller entre une forme d’assurance, voir d’arrogance, et des doutes, un mal-être profond.

    Mais, comme il a pu le dire en interview, Riad Sattouf n’a jamais baissé les bras, contrairement à d’autres de ses collègues, dégoûtés par ce métier trop ingrat. Dès sa jeunesse, il s’obstine et s’inspire de certains des plus grands maîtres de la BD (Bilal, Druillet et Moebius), sous l’influence d’une copine qu’il aime en secret, alors qu'il avait déjà découvert Tintin beaucoup plus tôt, par le truchement de sa grand-mère. La vie précaire d’auteur ne semble pas lui faire peur (mais il faut avouer que, d'une certaine façon, c’est plus facile de le raconter lorsque l’on a explosé le Box-Office BD...) et il est fasciné par l’œuvre d'H. P. Lovecraft depuis le collège, auteur à la destinée tragique... Au final, il suit un parcours assez simple pour mener à bien son projet artistique (littéraire, avec une option art dans un lycée rennais) pour finir par intégrer la prestigieuse école d’animation des Gobelins (raconté dans le tome 6), soutenu par sa famille bretonne (notamment son grand-père, qui a payé ses études à Nantes).

    D’une certaine façon, on pourrait se dire que Riad Sattouf n’a pas un talent immense, qu’il n’a réussi que par la chance, un certain entêtement, le soutien de ses proches, ou une série de circonstances favorables à sa réussite. Je constate cependant que Riad Sattouf a su révéler une forme de génie, un talent lié à son labeur, à son expérience de la BD, du cinéma d’animation, de la presse, et plus largement de l’art et de la vie, entre Orient et Occident. La quantité phénoménale de commentaires et de critiques positives qui encensent l’Arabe du futur vont dans ce sens, surtout qu’on y trouve toutes les catégories d’âge, tous les sexes... Qui mieux que Rémi George avait auparavant touché un public aussi large en France ?

    Si l’on compare avec des auteurs de sa génération, c’est-à-dire de la "nouvelle vague", il me semble plus prolifique que Satrapi, plus précis dans son dessin que Trondheim, moins déprimant que Larcenet, plus rigoureux que Sfar, plus constant et moins de droite que Blain, plus charismatique que Sapin, plus commercial et moins de gauche que Milhiet... avec en plus cette casquette de cinéaste (Les Beaux Gosses, Esther...). S’il attire des jalousies, c’est d’ailleurs qu’il a un certain brio... Néanmoins, il s’est aussi inspiré des autres (dont ceux que j'ai cités plus haut).

    Pour moi, si son trait est assez particulier, il n’en demeure pas moins l’auteur de BD le plus complet du XXIème siècle, avec plusieurs bottes secrètes : l’accessibilité de ses histoires et la clarté de son trait pourtant flageolant, un regard presque de journaliste sur les jeunes et leurs problèmes, des caricatures de canailles et autres gredins, la mémoire d’une vie syrienne et une mise en scène plus que convaincante, jouant parfois aussi sur les symboles...

    Même si je comprends certaines critiques à l’encontre de son travail, ses multiples récompenses, au FIBD ou à l'international, dans la BD comme au cinéma, me semblent amplement justifiées.

    Il est l’un des bédéistes qui m’aura le plus marqué et des BD... j'en ai lus par milliers.

    Zablo Le 10/05/2024 à 12:03:34

    Belle adaptation du roman de Gaël Faye, en format BD et dans la veine franco-belge...

    Par les auteurs de la série Mirza (une chronique BD à caractère autobiographique, sur la Pologne communiste, paru initialement dans le magazine Spirou), c'est-à-dire Marzena Sowa (au scénario) et Sylvain Savoia (au dessin).

    Petit pays raconte de manière simple et accessible l'histoire d'un jeune garçon vivant au Burundi, pourtant empêtré dans un contexte géopolitique complexe, celui du génocide rwandais (1994) et de la guerre civile au Burundi (à partir de 1993)... Deux petits pays voisins d'Afrique orientale, marqués par des tensions entre les ethnies Hutu et Tutsis.

    Le point de vue narratif, un peu décalé par rapport aux événements tragiques qui secouent la région, apporte une forme de réalisme au récit, se concentrant sur des scènes de la vie quotidienne de l'enfant, sur son regard et ses sensations.

    Néanmoins, on ressent dans les relations entre les personnages, leurs discours, leurs jeux, le passage à l'adolescence... les fortes inégalités de la société burundaise. La violence du colonialisme et de la discrimination des peuples africains s'immisce dans toutes les strates de la société, peut se retourner contre tout le monde, y compris les dominants. Dès lors, le cours de cette roue tragique du destin paraît insurmontable... Il n'y a quasiment plus d'espoir, on voit arriver l'horreur de ce vaste mouroir...

    Les auteurs de la BD on su retranscrire la part autobiographique du roman. L'expérience de Gaël Faye, né au Burundi d'un père français et d'une mère rwandaise (réfugiée à Bujumbura après le début des persécutions contre les Tustis, dans les années 1960), est tangible. On retrouve dans cette BD les thèmes, les champs sémantiques du slam de Gaël Faye. Une poésie engagée qui lui permet aussi "d'extérioriser sa douleur de l'exil et de se reconstruire".

    Ainsi, cette BD est aussi d'une grande profondeur émotionnelle.

    « ...Et de pays en pays, il pédale, il pédale.

    Et de guerre en maladie, il pédale, il pédale... » (extrait de Pili pili sur un croissant au beurre, Gaël Faye)

    Zablo Le 07/05/2024 à 23:05:41

    Maître du franco-belge "beurre-salé" et lui même élève de Franquin...

    Jean-Claude Fournier met en image sa "vie de rêves", dans une succession d’histoires plus ou moins courtes.

    Féérique, on apprend ainsi comment plusieurs moments de sa vie, imprégnée de culture celte et de BD, sont à la source de son parcours d’auteur, de sa narration.

    Bienheureux aussi les moments passés avec Franquin, qu’on ne présente plus et qui le prit sous son aile. Instructif.

    Néanmoins, il y a quelques mauvais rêves, lorsque Fournier doit affronter une cabale éditoriale pour la suite de Spirou par exemple. Un crève-cœur pour tout amoureux du travail du Breton sur la série phare de Dupuis...

    Le reste du bouquin prend la forme d’un dossier, avec des commentaires de Fournier, des fac-similés de son travail (crayonnés, scénarimages et autres surprises).

    Alors qu’il s’était cantonné à des récits de fiction (que j’aime énormément), que ce soit dans le style de l’école de Marcinelle (Spirou, Bizu) ou même semi-réaliste (Les chevaux du vent, Plus près de toi), après Dans l’atelier de Fournier de Nicoby et Joub (que j’aime beaucoup aussi)...

    ...il se résout à faire lui même un saut bédéesque dans l’égo-histoire (que j’aime toujours).

    Zablo Le 07/05/2024 à 07:40:42

    Une belle BD à offrir....

    ...qui raconte le destin mêlé de trois poètes français : Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Germain Nouveau. Cela m’a rappelé mes cours de français... et donné envie de me relancer dans des recueils de poésie.

    Et quel bonheur de découvrir une BD, admirablement scénarisée et illustrée sur ce thème. Dès la couverture, on est plongé dans un monde de soiffards et de marginaux, qui nous saisit, nous remue... puis nous berce par la riche sonorité de ses poèmes.

    Les dialogues sont très convaincants et j’ai apprécié ces « scènes polyphoniques », qui m’ont rappelé la narration en miroir de François Ayroles. J'ai cependant été un peu heurté par les traits de certains personnages : le visage de Germain Nouveau manque de relief et d’expressivité à mon sens, contrairement aux deux autres. Mais l’ensemble reste extraordinairement lisible et j’ai pu m’égarer dans certaines cases, comme cette scène qui sort de l’ordinaire à la fin de la page 110, où Rimbaud semble se noyer dans sa cabine. Surtout, pour un récit qui se déroule dans les années 1870, le style impressionniste de l’œuvre fait sens. Il y a d’ailleurs un certain nombre de références à Cézanne.

    A lire et à partager.

    Zablo Le 06/05/2024 à 18:08:23
    L'arabe du futur - Tome 4 - Une jeunesse au Moyen-Orient (1987-1992)

    Le climax de la série...

    ...qui permet aussi à Riad Sattouf de se libérer d'un tabou familial.

    En apparence, la couverture est semblable aux trois autres. Mais l’arrière-plan s’est considérablement assombri, rehaussé par un dessin vert, représentant Sadam Hussein en chef de guerre. A gauche de l’image, juste en dessous de la figure du dictateur, on voit Abdel-Razak Sattouf, le père de Riad. Il semble s’éloigner, car sa silhouette s’amenuise et il esquisse un geste d’adieu. De l’autre côté, on distingue le reste de la famille, la mère Clémentine et ses trois fils. Au premier plan, ils semblent beaucoup plus grands et s’avancent vers la droite, vers leur futur. Comme toujours sur les couvertures de cette série, Riad Sattouf est colorié en blanc, ce qui le fait ressortir par rapport aux autres. Il est maintenant adolescent et répond au salut de son père, avec un beau sourire et un geste de la main. En quatrième de couverture, le taureau paternel est toujours là, placé au-dessus de la télévision, au milieu des jouets des trois garçons.

    Par-delà l’œuvre et le renom de son auteur, Allary Éditions a encore fait du très bon travail, que ce soit pour l’objet BD ou son marketing (nombreuses interviews, publicités etc.). En 2016 à titre d’exemple, le tome 3 de L’Arabe du futur avait été tiré à 220 000 exemplaires (Gilles Ratier – ACBD). Au jour d’aujourd’hui, la série a atteint le cap des 3 millions d’exemplaires vendus en France (Allary Editions) et dans le monde, dans plus d’une vingtaine de langues (dont le coréen, le catalan, le grec ou le japonais, mais toujours pas en arabe).

    Quoique plus volumineux que les autres (288 pages), le tome 4 de l’Arabe du futur garde une forme similaire. En mains, cette BD à la couverture souple et au papier épais reste très agréable à lire. La constance de la forme et de son contenu rassurent, tout comme sa charte graphique, qui demeure toujours la même. Rien n’a changé : que ce soit le trait du stylet tactile, la composition des pages, le lettrage biscornu parfois souligné à la main... Pourquoi changer, après avoir trouvé l’alchimie parfaite, les clés de la réussite ?

    En effet, la série reste toujours aussi accrocheuse, presque addictive, avec un sujet de société fort, qui arrive à son point culminant. La technique du cliffhanger, propre aux séries à succès, est maîtrisée, quasiment de manière naturelle, puisqu’il s’agit de l’histoire personnelle de l’auteur...

    De plus en plus intense, le drame n’est pas loin... D’aucuns se retrouveront dans ce déchirement familial ou cette vie éclectique. La majorité pourra toujours s’identifier au jeune Sattouf, ou à l’un de ses camarades de classe, face aux difficultés du collège et de l’adolescence. Je ne peux que me réjouir du regard nouveau porté par Riad Sattouf sur ce thème (cela depuis Retour au collège).

    L’AduF c’est aussi une série qui évolue, puisque Riad grandit. On le voit dès les premières pages, notamment à la page 7 où l’auteur décrit sa propre évolution physique, avec des informations fléchées emplies d’auto-dérision... En accompagnant le jeune Sattouf dans son histoire, on redécouvre aussi des émotions, celles de l’adolescence et en premier lieu de l’apprentissage de la sexualité.

    On constate également que la série est plus longue que prévue, puisqu’elle avait été annoncée initialement en 3 tomes. Est-ce parce que Riad Sattouf a eu un afflux de souvenirs, comme il l'évoque en interview ? La bonne fortune de son projet lui a donné les moyens de le prolonger.

    Pourtant, la "loi des séries" veut aussi que certains problèmes reviennent constamment. Ici, la famille fait inéluctablement des allers-retours entre la Bretagne et la Syrie (bien malgré eux), le père de Riad accumule les mensonges...

    Est-ce que l’on reverra sa figure taurine dans les prochains tomes ?

    Inquiétant...

    Zablo Le 30/04/2024 à 17:58:27
    Le chat du Rabbin - Tome 1 - La Bar-Mitsva

    BD que je viens de relire...

    ...car elle se trouvait dans la bibliothèque de ma compagne.

    J'ai dû me forcer un peu, car la composition plutôt monotone de Joann Sfar (gaufrier en 3x2 cases), le dessin lâché, le rendu aléatoire des personnages, les narratifs... me rebutent au premier abord. C'était pareil plus jeune.

    Cependant, après quelques planches, je me suis pris au jeu : celui d'entrer dans le monde des Juifs séfarades (Juifs d'Espagne ayant été expulsés de la péninsule vers le Maghreb après la prise de Grenade par les croisés en 1492), à travers les yeux d'un chat, amoureux de sa maîtresse. Celui-ci réclame à son maître le droit de faire sa Bar-Mitsva (statut de majorité religieuse acquis par les jeunes garçons juifs, à l'âge de 13 ans), après avoir miraculeusement obtenu le don de parole.

    Je trouve que le point de vue animal permet de donner du sens aux approximations, aux déformations du trait et de l'histoire. Une forme de poésie émane aussi de ces planches, aux motifs chamarrés et au symbolisme appuyé.

    L'autonomie du chat permet également de se balader dans la ville, de découvrir la société partagée entre Islam et Judaïsme et de développer un panache d'intrigues sur le thème de la tolérance et de la religion.

    Ce sphynx a aussi beaucoup d'humour et aime poser des questions délicates. On retrouve ici l'un des traits de l'archétype félin, d'une grande malice... Il n'en est pas moins séducteur et gourmand.

    Je dois pourtant avouer que la BD manque parfois de repères, pour se faire une idée précise de la voix du chat par exemple (lettrage). De ce fait, j'ai trouvé le film d'animation de Sfar beaucoup plus abouti et accessible.

    Néanmoins, cette BD jouant sur les impressions, est plus sensible et admirablement bien découpée et j'ai pris plaisir à redécouvrir cette histoire positive...

    ...tout en prenant le temps d'observer ses détails.

    Zablo Le 18/04/2024 à 21:20:48
    L'arabe du futur - Tome 3 - Une jeunesse au Moyen-Orient (1985-1987)

    BD du réel, L’Arabe du futur réveille aussi chez moi des émotions bigarrées.

    La couverture, saturée de rouge, évoque de chaudes expériences, celles de la famille Sattouf à Ter Maaleh : que ce soit l’angoisse de l’école syrienne, à laquelle Riad doit faire face de nouveau, mais aussi la toxicité d’Anas et Moktar, ou encore la découverte des films de Conan Le Barbare... Personnage central, comme l’indique son coloris blanc, Riad est porté par son père dans un geste attendrissant. Leurs visages se reflètent dans un miroir vert, symbole d’une triste évolution : malgré le lynchage d’une cousine éloignée, le patriarche, dont les cheveux commencent à blanchir, renoue peu à peu avec ses racines et malheureusement aussi avec la religion... Comme pour les couvertures des tomes précédents, celle-ci relève de plusieurs chiasmes, des oppositions entre le réel et l’irréel (paroi amovible avec un robinet qui coule, quasi surréaliste), la scène et ses coulisses, l’insouciance de l’enfance (mines enjouées) et la gravité de la guerre (hélicoptère), la mobilité et ce qui ne bouge pas, immuable... Impression qu’accompagne la figure désormais familière du taureau.

    Les personnages, parce que caricaturaux, appellent la sympathie dans toute la série. Leurs traits d’un réalisme minimal, nous cèdent une part d’interprétation, d’imaginaire. Mû par une forme d’empathie, je peux ainsi sourire de la facétie de certains personnages, comme celle du père, même si ce dernier avive en moi des sentiments mêlés : crainte, dégoût, mépris... Toujours aidé par le déroulement des textes et des images, je déplore également l’expérience syrienne de la mère, qui sombre peu à peu dans la dépression, ou même de Yaya, qui est maltraité par son aîné à l'image de ce que font ses parents... Plein de relief, on apprend à connaître les personnages, qui grandissent d’album en album.

    Indubitablement, Riad Sattouf sait transcrire une palette développée de sensations et d’émotions en BD, notamment celles qu’il traverse lui même, esquissées en quelques traits : la curiosité ou l’étonnement avec la bouche bée, l’amusement et les plaisirs de sa jeunesse avec un sourire plus ou moins léger, un certain sadisme avec un trait long et épais au dessus de ses yeux écarquillés, le dédain ou l’ennui avec ses joues gonflées, la peur, la souffrance ou la fascination absolue avec des yeux qui s’allongent en dehors de leurs orbites, la faim et la soif par les gerçures des lèvres, l’arrogance avec sa bouche ondulante, la timidité par des hachures sur ses joues rouges... Mais la plupart du temps, le jeune Riad adopte un visage neutre, regardant vers le milieu de la case. Omniscient, il est autant spectateur de ses souvenirs, qui rejaillissent de plus en plus distinctement, que nous...

    Je trouve que la profondeur des personnages, de leurs personnalités, de leurs interactions, de leurs sensibilités... est esquissées avec talent. J’irais même plus loin, pour moi l’humanité des personnages, au sens philosophique du terme, atteint un niveau inédit en BD. Cela a participé pleinement à me plonger dans cette jeunesse syrienne. J'ai pris plaisir à partager avec le narrateur des moments de sa vie, particulièrement singulière et instructive, tout en gardant le confort de mon divan...

    Après ce tome, je n’ai plus jamais décroché et je me suis empressé d’acheter chacun des albums à leur sortie !

    A l’époque, je lisais moins de BD et je n'en avais que quelques unes dans ma bibliothèque...

    Zablo Le 17/04/2024 à 20:33:41

    Une lecture utile à tout fan de Star Wars, pour comprendre le contexte de sa création.

    En effet, Les guerres de Lucas raconte avec brio les déboires du cinéaste éponyme, pour sortir son premier grand film de science-fiction. Il était alors un jeune réalisateur dans le Vieil Hollywood. C’est la fameuse Guerre des étoiles, film qui aura marqué l’enfance de beaucoup...

    Et quel plaisir de voir l’envers du décor, de se rendre compte des défis du projet et de la chance qu'on a eu qu’il voit le jour. Les dialogues, imaginés par Laurent Hopman, sont accrocheurs. Je n’ai pu m’arrêter de tourner les pages avant d’avoir terminé la BD.

    Or, elle n’est pas seulement divertissante, elle est aussi didactique et particulièrement instructive... Pas besoin de flèches, de schémas explicatifs ou de monologues sans fin... un bon story-board, une narration graphique passionnée et sourcée suffisent. La démonstration par l'image..

    Ainsi, les dessins de Renaud Roche sont particulièrement bien venus : un trait jeté et d’une grande vitalité, avec des aplats de gris et quelques rehauts de couleurs... judicieux équilibre entre réalisme et épure (d’où une petite pensée pour Vivès, à la technique similaire).

    En bref, c'est un ouvrage de référence sur Star Wars, rigoureux sans être austère, quoique son sujet n’intéressera pas l'ensemble des rats de bibliothèque que nous sommes et qu’il verse parfois dans le style panégyriste... C’est souvent le problème avec les biographies.

    Les guerres de Lucas n’en demeure pas moins un chef-d’œuvre.

    Je lirai avec envie la suite, quand elle verra le jour...

    Zablo Le 17/04/2024 à 16:36:07

    BD pré-commandée à 17 euros...

    C’est un produit dérivé du premier cycle des 5 Terres, Angleon, avec l’un de ses félins emblématiques, Demeus Lor.

    On comprend rapidement que le spin-off se situe chronologiquement à la fin du cycle 2, après l’attaque des Ours, puisqu’ils envahissent l’île où réside Demeus. Ce dernier devra alors choisir entre collaborer avec l’ennemi ou entrer en résistance...

    Le scénario, tourné sur une occupation allogène, aurait pu être particulièrement profond, soulevant certains problèmes : rencontres ou tiraillements entre la morale et les défis de subsistance, individualismes ou logiques de groupe, violence ou tolérance, tyrannie ou justice, politique du moindre mal, collabos, résistants ou ceux qui s’en soucient comme d’une guigne...

    Or, si on sent une volonté d’amener de la nuance, l’histoire est traitée de manière trop superficielle, sans grande énergie, les dialogues en soulignant même la faiblesse... Quelques exemples : dans le contexte des guerres en Ukraine et en Palestine, ou de la sortie d’albums brillants sur la Résistance, qui pourrait croire à un gouverneur ours surnommé « Fharok le naïf » ou à une cachette « qu’un enfant de quatre ans aurait pu deviner ». Est-ce un gag ?

    Dans tous les cas, je n’ai pas eu ce sentiment d’immersion propre au travail de l’équipe de Lewelyn, avec ses intrigues et ses histoires filées. C’est comme s’ils s’étaient débarrassés, avaient expédié le sujet Demeus Lor, album trop court et isolé... J’espère pouvoir tourner la page avec le prochain cycle.

    Car, cet album avait des atouts : le character design de Poli, tout comme les couleurs de Martinos ou les dessins, le découpage, la composition de Guinebaud, rendant une copie presque conforme du style de la série mère, même si on lui préférera Lereculey.

    J’avais craqué pour le tirage limité, avec le cahier graphique. Pur marketing...

    ...J’ai compris mon erreur.

    Zablo Le 17/04/2024 à 08:56:48

    Une belle histoire...

    Lucie Quéméner, jeune autrice de BD sortie du Bachelor de Delcourt, adapte le roman de Marie Desplechin avec succès. En effet, elle parvient à nous faire sentir la solitude de la jeune fille, qui pâtit de l'absence de ses parents, ainsi que celle de sa nounou improvisée, qui vient finalement lui apporter une présence réconfortante, un peu d’amour et de poésie dans cet environnement froid et rigide.

    Le découpage est dynamique et la composition des planches fait briller les yeux, avec de nombreuses cases, des zooms, sur les mains, les visages, les objets... ou ces étoiles qui crépitent sous nos paupières.

    Pourtant, je ne suis pas complètement convaincu par l’esthétisme de cette œuvre. Si j’apprécie le trait fin et épuré de Lucie Quéméner, comme une synthèse enfantine de celui de Bablet, je suis moins convaincu par ses couleurs, malgré leur douce mélancolie, à cause d’une sorte de flou dû à l’outil numérique.

    Sélectionnée au FIBD 2024...

    ...à mettre entre toutes les mains.

    Zablo Le 15/04/2024 à 22:08:37

    Après avoir lu A prix d’or, dans un tout autre registre, je me relance dans le monde de la mine, de l’écocide et de l'avilissement des hommes avec « Environnement toxique »...

    ...Un roman graphique qui a eu beaucoup de succès de l’autre côté de l’Atlantique, moins sur le vieux continent, l’esthétique du livre ainsi que son titre n’ayant pas attiré les foules.

    Car, si Kate Beaton s’est fortement employée pour ce pavé, son trait simple et ses têtes carré-rond ne cassent pas trois pattes à un canard. Des irrégularités dans le dessin m’ont fait sortir plusieurs fois du livre, comme à la page 75 où je venais pourtant de m’habituer au style de l’autrice. Heureusement, la BD a d’autres atouts et ses dessins renforcent tout de même l’empathie et l’identification aux personnages, le beau et le moche se diluant, se rapprochant.

    L’ambiance grisâtre et fatigante des villes champignons, ou autres camps de travail, m’a régulièrement fait penser à un jeu sérieux sur Arte, Fort McMoney (2013), avec des témoignages vidéos... Un reportage particulièrement innovant.

    Mais cessons les digressions et revenons à nos canards : la jeune Kate Beaton doit maintenant travailler pour payer son prêt étudiant (le futur de la France néolibérale...). Elle se retrouve employée dans une mine de pétrole de l’Alberta, à plusieurs milliers de kilomètres de chez elle, bon gré mal gré...

    Et, en plus des difficultés du travail, pas facile de s’intégrer... « J’aimerais bien avoir des potes. Mais ils ne veulent pas être mes potes. » (p. 137). Certains travailleurs, car il y a une très grande majorité de mecs, la voient surtout comme une source de réconfort, une poulette, de la chair fraiche...

    C’est aussi ce qui explique la réplique suivante : « Là où je vais, dans le meilleur des cas, je serai une gonzesse ! Et le reste, vous ne voulez pas savoir ! » (p. 268). En effet, comme d’autres femmes partout dans le monde, elle est victime de lourdeurs récurrentes, pour ne pas dire de harcèlement, de viols...

    Si l’un de ses « amis » lâche dans une de ses conversations « Les féministes, c’est juste un tas de salopes tarés qui savent pas de quoi elles parlent ! », il est rapidement blacklisté, sans qu’il ne comprenne vraiment pourquoi d’ailleurs (pages 289 et 373)... Ce ne sera pas une grosse perte.

    Cependant, l’histoire de Kate Beacon est plein de relief. Sa formation d’anthropologue lui permet de décrire avec justesse cette société de mineurs, avec qui elle partage les peines et les joies. Le titre original, « Ducks », évoque la mort de centaines de canards dans des mares de pétrole... Symbole de la surmortalité des peuples autochtones et par ricochet des hommes et des femmes piégés par la violence du système capitaliste... Déshumanisant.

    Une certaine expérience du Far West, bien loin de Blueberry...

    Zablo Le 11/04/2024 à 19:14:44

    Élégante et froide...

    Cette BD a bénéficié d'une bonne communication à sa sortie. Les auteurs José-Louis Bocquet, scénariste d'ouvrages exigeants, et Christian Cailleaux, dessinateur accompli qui a publié la même année une suite du Rayon U, adaptent avec brio l’œuvre du romancier belge Simenon.

    Dans ce thriller psychologique, une enquête est menée sur la bateau du Polarlys, où l'un des rares passagers est suspecté d'avoir assassiné une femme lors d'une soirée parisienne. Mais celui-ci demeure introuvable... L'histoire est plutôt réussie, quoique la tension narrative résulte souvent de projections masculines sur les femmes (crime sexuel, désir et frustration, drogue...).

    Il y a également beaucoup de narratifs, ce qui peut décourager. Car cette BD se rapproche du style d'E.-P. Jacobs, avec un lettrage et des bulles identiques.

    L'esthétisme est dans la même veine, s’inspirant notamment de Black et Mortimer pour la forme des visages, leurs expressions, le réalisme des décors... By jove !

    Malgré un trait affirmé et des silhouettes bien définies, l'art du passager du Polarlys se distingue de la ligne claire par ses ombres, ses aplats d'un noir charbonneux et des couleurs pastel.

    J'ai apprécié le soin apporté à la composition des planches, ainsi que la justesse de la mise en couleur. Les teintes, parfois plus vives, hiérarchisent les éléments des cases, apportant du sens au récit, y compris lorsqu'elles sont réduites à un point (sémaphore p. 57).

    Enfin, j'ai aimé les scènes dans le noir, parfaitement réalisées, avec des traits rouges ou blancs pour faire ressortir le dessin, comme une gravure.

    Cependant, je dois aussi avouer que j'ai eu une sensation d'ennui en lisant cette BD...

    ...Le polar était effectivement trop lisse.

    Zablo Le 11/04/2024 à 09:00:27
    L'arabe du futur - Tome 2 - Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985)

    BD mémorielle...

    La couverture, quoique plus claire, reprend les principes du tome précédent, lui même inspiré de Persépolis.

    La famille s’agrandit, avec un nouveau venu qui fait ses premiers pas. Quant au petit Riad, il se situe en pointe, vêtu de son uniforme d'écolier, avec dans les mains son cartable en carton bouilli et un drapeau syrien. Car, comme le dit son père, « l'Arabe du futur va à l'école ». Attendrissant...

    A cela s'ajoute des portraits d'Hafez el-Assad se multipliant sans fin. L'image du bonheur familial, au premier plan, est donc contrastée par le contexte géopolitique, par le culte de la personnalité de l'autocrate syrien, en arrière-plan.

    Les articles de presse ont pu insister sur le caractère "véridique" de l'histoire. Mais est-ce le cas ? Peut-on mélanger mémoire et Histoire ?

    Certes, la plupart des anecdotes ont un caractère authentique et sont d'ailleurs racontées avec force de détails (la maîtresse en talons/jupe/voile, la rudesse de l'école, l'apprentissage du dessin, de l'arabe, le garde du corps désopilant à Palmyre...). Ayant une connaissance assez fine de la région, Riad Sattouf sait inscrire sa BD dans le réel. Renforçant un peu plus le sentiment d'immersion et l'intérêt pour sa BD, il intègre avec justesse des événements, des personnages, des notions propres à l'Histoire du Proche-Orient : colonisation, dictateurs, guerres, panarabisme, tiers-mondisme, islamisme, révoltes et coups d’État... Le personnage du père, professeur d'Histoire, semble d'ailleurs particulièrement attentif à l'évolution géopolitique du Moyen-Orient, qu'il commente régulièrement dans le livre, de manière instructive... ou pas. La BD compare finalement la société, la vie quotidienne difficile en Syrie, avec ce que l'on connaît en France ou en Bretagne.

    Mais plusieurs fois en interview, Riad Sattouf a lui même admis la part fictionnelle de ses histoires (surtout pour le tome 6), à ne pas prendre pour argent comptant. Sans surprise, son témoignage comporte des zones d'ombre (en particulier les deux premiers tomes), la chronologie des événements de sa vie est parfois confuse et l'auteur prend naturellement quelques arrangements avec le réel, pour combler les trous de sa mémoire, magnifier sa narration ou en adoucir/censurer certains aspects. Malgré ses efforts pour collecter un maximum de souvenirs, tout en gardant du recul, il n'est donc ni exhaustif sur sa vie, ni totalement neutre. On peut même penser que son égo-histoire, qu'il relie à celle du Proche-Orient, est vue par un prisme déformant : les yeux et l'esprit de celui qu'il est devenu, c'est-à-dire un auteur de films et de BD parisien (plutôt que médecin arabe comme le prédestinait son père).

    L'ouvrage comporte ainsi quelques clichés. Or, s'il y a couramment des stéréotypes en BD (on pense à Tintin au Congo...), il s'agit ici essentiellement de caricatures. En déformant, en exagérant des détails, l'identification des personnages, archétypaux, en devient plus facile. Indubitablement, l'auteur cherche aussi à faire rire, à dédramatiser. D'ailleurs, Riad Sattouf est un habitué de l'humour. Son dessin tremblotant est tout particulièrement dérisoire lorsqu'il représente Pascal Brutal dans une autre de ses BD, sur-homme qu'il n'est pas... Salutaire.

    Par contre, si Riad Sattouf représente des Syriens souvent sales, ignorants, antisémites... tout comme il dessine d'ailleurs des Bretons en bottes, marinière, ciré, voir en coiffe bigoudène (alors que fréhélois...), cette vision est liée à son vécu. On pourrait d'ailleurs la critiquer, la mettre en perspective avec d'autres expériences.

    Heureusement, Riad Sattouf parvient aussi à nuancer son propos, avec des figures rassurantes, comme certains de ses cousins syriens, ou d'autres éléments positifs, des "madeleines de Proust" arabes pourrait-on dire... Ainsi, on en apprend surtout sur lui, son regard, ses sensations, les moments clés de sa vie ou les petits riens qui lui ont semblé important à raconter. Il y a également des faits marquants que je vous laisse découvrir... Probablement a-t-il voulu dénoncer les dérives du fanatisme religieux, du nationalisme ou des problèmes d'éducation en Syrie.

    J'aimerais cependant avoir aussi l'avis des Syriens eux-même : est-ce qu'ils seraient déçus de l'image que l'on donne d'eux ? Est-ce qu'ils en valideraient toutes les représentations ? Difficile à savoir, puisque le livre n'a pas été traduit en arabe.

    Dans tous les cas cette œuvre, sortie après les printemps arabes, où les Syriens ont eu le courage de se révolter contre le dictateur Bachar al-Assad, m'a offert le témoignage le plus frappant que je connaisse de cette région.

    ...Unique !

    Zablo Le 10/04/2024 à 08:42:11

    Un peu déçu par cette BD...

    Goiter est une anthologie d'histoires auto-publiées par Josh Pettinger. Un Comics indépendant en somme.

    Cependant, je n'ai pas adhéré aux graphismes, froids et figés, ni au découpage, parfois redondant, ou à la composition générale du bouquin.

    Les narratifs m'ont tout autant ennuyé... Et on commence à bien connaître les contradictions de la société américaine.

    Heureusement, si on s'accroche un peu, les scénarios mêlant les genres, nous réservent tout de même des surprises.

    Malgré un aspect un peu ratatiné, il y a donc de bonnes idées dans cette BD.

    J'admire la maison d'édition Ici même, qui a eu tout de même du mérite à éditer ce livre, peu commercial...

    ...Audacieux.

    Zablo Le 08/04/2024 à 08:29:08
    L'arabe du futur - Tome 1 - Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)

    Pris par la main avant même d'ouvrir le livre...

    j’ai été marqué par le rouge de cette couverture. Cette teinte, propre à énerver les taureaux... est relevée cependant par des drapeaux verts, couleur de l’Islam. Proche du centre, de sa maman, le petit Riad se tient sur les épaules de son père. Il ressort par sa couleur, un blanc immaculé, angélique. Ils rient, se gaussent de l’air grave et pompeux de Kadhafi, insouciants. Mais on sent déjà le poids de la crise, d'épaisses couches de noir atténuant la clarté de la scène. Si la famille est unie dans l'ombre, c’est bien l’enfant qui fait le pont entre la mère et le père, entre deux cultures diamétralement opposées... Une couverture d’une grande puissance, émouvante tout en s’imprimant dans le réel, avec une touche d'humour et une typographie digne d’un livre d’Histoire sur le Proche-Orient.

    Dans cette BD tragi-comique, Riad Sattouf recolle les morceaux de sa mémoire, de sa famille, pour nous y transporter. Il évoque évidemment son enfance, assez atypique, puisqu'il est né d’une mère française et d’un père syrien.

    Il y aurait tant à dire sur cette BD : une édition réussie et salvatrice (je parle à titre personnel), clé de lecture pour la guerre civile syrienne, commencée quelques années plus tôt, mais aussi pour ceux qui ont connu une séparation, un exil ; un récit accessible, extraordinairement lisible, mais sans verser complètement dans la vulgarisation ou les stéréotypes ; des souvenirs reconstitués, liés aux vécus des protagonistes, à leurs traumatismes, d'où une profondeur psychologique intense ; des aplats de couleurs monochromes, nous transportant d’un bout à l’autre de la Méditerranée, évoquant les émotions que traversent les personnages ; le character design simple, mais non dénué d’expressivité ou d’humour, avec des détails marquants et une vision aigüe des particularités, des tics des individus ; le trait unique de Riad Sattouf et sa formidable capacité à nous transporter dans son égo-histoire.

    Un chef d’œuvre dument récompensé, je l'ai lu au moins 8-9 fois...

    Zablo Le 07/04/2024 à 22:06:04
    Le lait paternel - Tome 2 - Livre 2 : Sous la surface

    Beaucoup de maîtrise...

    Je lis très régulièrement des BD, pour lesquelles je n'ai pas toujours l'envie ni le temps d'écrire un avis. Mais je crois que cette série mérite que l'on s'y attarde.

    Pourtant, elle ne m'a pas happé instantanément. Elle n'est pas particulièrement innovante. La moralité de certains personnages choque, même si leur psychologie est très fouillée...

    Au début de la série, j'ai même un peu peiné à entrer dans cette représentation stéréotypée des années 70, esquissée par Uli Oesterle.

    Pourtant, l'esthétisme du livre est attrayant. Les yeux familiers reconnaitront le trait expressif du papa d'Hector Umbra, quoique devenu plus discret, ombragé, géométrique, à l'image des graphismes d'Alexandre Clérisse.

    Les couleurs sont tout aussi réussies, établissant une codification selon les temporalités, les émotions, les points de vue... comme Riad Sattouf le faisait déjà, pour distinguer les différents lieux de son récit dans l'AduF ou les personnages dans Jeune acteur.

    De plus, le scénario se révèle être palpitant, avec un récit double, jonglant entre un père décadent et son fils devenu adulte. Il y a des thèmes forts : relations humaines, inégalités de genre, addiction à l'alcool, au sexe... D'une grande intensité.

    L'histoire est traitée avec élégance, Uli Oesterle ayant assimilé tous les codes de la BD, moderne ou ancienne.

    On y retrouve la profonde noirceur d'un Larcenet, avec ses clochards et autres pousseurs de caddies...

    Comme savait le faire Charlier auparavant, le rythme est frénétique, haletant... à la différence qu'il y a aussi une part de réel, très "nouvelle vague", et un investissement particulier de l'auteur pour son œuvre...

    Surtout, le tome 2 surpasse le 1... Je n'aurai pas vu le temps passer en lisant les deux albums, tellement je fus absorbé. Hâte de voir la suite...

    Ainsi Le lait paternel, titre qui pourrait faire ricaner, est en réalité « une biographie fictive de Peter Oesterle », père d'Uli. Tel que l'indique la postface du tome 1, elle s'appuie sur des « anecdotes librement inventées – mais dont chaque mot est empreint de vérité ».

    ...Pour raconter la vie débridée et délictueuse, pour ne pas dire criminelle, d'un père absent.

    Zablo Le 07/04/2024 à 22:00:11
    Thorgal Saga - Tome 2 - Wendigo

    Une BD de toute beauté...

    Où Thorgal fait un passage en Amérique.

    Si je n'ai pas accroché aux dialogues, j'ai aimé le trait de Corentin Rouge, la composition, le découpage... D'une grande maîtrise graphique.

    Les scènes dans l'Arbre de Vie laissent rêveur, évoquant pour moi l'univers de Star Wars, en particulier l'habitat des ewok ou le jeu Jedi : Fallen Order.

    C'est donc une BD moderne, qui innove aussi, réinventant par exemple l'iconographie amérindienne et viking, ou encore celle de la chute...

    Enfin, on apprécie les pleines pages et autres ingéniosités, permises par le grand format franco-belge.

    Un plaisir pour les yeux.

    Zablo Le 07/04/2024 à 21:58:36

    Une bonne BD...

    ...Que ce soit au niveau du scénario ou des dessins et des couleurs.

    Le trait de Gaultier est gras, à la Peeters, mais avec des couleurs plus froides, Antarctique oblige...

    En effet, le principal protagoniste décide de se payer un voyage dans les TAAF (Terres Antarctiques et Australes Françaises)...

    Ce récit fait immédiatement penser à celui de la BD reportage de Lepage, mais avec un ton désabusé et un humour quasi acerbe, cynique. Or le scénario d'Appollo prend une toute autre direction, allant de surprise en surprise dès la partie 4.

    Suffisamment documenté pour être crédible, ce mélange des genres, entre thriller et reportage, fiction et réel, vise aussi à brouiller les pistes...

    Par contre, le discours anti-écolo, déjà présent dans la BD Biotope du même scénariste, me branche beaucoup moins...

    Sans mauvais jeu de mot.

    Zablo Le 07/04/2024 à 19:33:44

    En observant la couverture, je m'attendais à un sujet intéressant, avec des dessins éloquents et colorés...

    Puis, j'ouvre le livre, et tous les dessins sont en noir et blanc, dans un style devenu assez commun pour un roman graphique, proche du trait de Pénélope Bagieu.

    Malgré un look peu accrocheur, les graphismes de Tiphaine Rivière restent expressifs, servant le propos vulgarisateur du livre.

    On y obtient ainsi quelques précieuses clés de lecture pour comprendre l’œuvre complexe du sociologue Pierre Bourdieu, tout en suivant le récit fictionnel d'un jeune professeur de Sciences Économiques et Sociales.

    Une très bonne introduction à Pierre Bourdieu en résumé, mais avec un plaisir bédéesque limité et qui ne saurait remplacer la lecture des livres, ni l'écoute des conférences de Bourdieu.

    Zablo Le 07/04/2024 à 19:27:06
    Le nom de la Rose - Tome 1 - Livre premier

    Malgré de très beaux dessins et de très beaux noms sur la couverture (Umberto Eco, décédé il y a huit ans, et Milo Manara)... je n'ai pas accroché à cette adaptation, sans grand intérêt et trop commerciale à mon sens.

    Le prologue, qui instaure le cadre, le contexte de l’œuvre, n'est pas assez didactique à mon goût. Les dialogues sont d'un ennui...

    Certes, le trait de Manara est sans égal et on sent un certain travail de documentation (notamment dans les reliefs, du Jugement Dernier...). Mais, à l'image de sa BD sur les Borgia, la mise en scène demeure trop grandiloquente pour l’œuvre d'Eco, assez éloignée de l'idéal de pauvreté et de la vie des moines bénédictins.

    Surtout, on ne peut s'empêcher de penser au film en observant les planches de Manara, tant l'iconographie, les personnages, leurs postures, les décors... lui sont semblables.

    Sans surprise, le principal intérêt de cette adaptation se situe dans sa représentation de la femme, canonique et fantasmée, qui donne une saveur toute particulière à cette BD, se déroulant dans une abbaye.

    Autrement, je vous conseille plutôt de vous diriger vers le roman d'Umberto Eco, un classique pour tout amateur d'Histoire, ou alors son adaptation cinématographique, véritable chef d’œuvre également.

    Zablo Le 02/04/2024 à 19:36:56

    Quel scénario !

    Probablement le meilleur que j'ai lu pour l'année 2023. Après quelques pages, on est embarqué dans un récit d'une noirceur profonde, au rythme effréné. Un thriller fantastique, qui sort des classiques du genre.

    En résumé, on y suit les péripéties d'une bande de montes-en-l'air, dont l'héroïne Alva, qui finissent par faire une mauvaise rencontre. Jugez-en la couverture...

    La mise en scène est complètement à la hauteur, avec des plans aussi variés que dynamiques. J'aimerais tellement que cette histoire soit adaptée en film d'animation...

    Néanmoins, les dessins sont beaucoup trop jetés, faisant plutôt figure de storyboard amélioré. J'en attends plus d'une BD, y compris dans un format « roman graphique ». En même temps, je viens tout juste de sortir de la lecture d'un chef-d’œuvre, celui de La route de Larcenet... D'où un certain niveau d'exigence.

    Dans tous les cas, j'ai aimé ces personnages terrifiants, que ce soit leur design ou leur personnalité, en particulier cette sorcière mais aussi les autres méchants, assez ambigus, ou encore cette héroïne particulièrement agile... Enfin, on ne s'ennuie pas, il y a des retournements de situation à tire-larigot, des méchants qui ne sont pas forcément ceux que l'on croit...

    De quoi se poser des questions sur ce qui définit le « bien » et le « mal ».

    Zablo Le 02/04/2024 à 19:29:35

    Une belle BD, quoique un peu tarabiscotée...

    Le personnage central, une jeune femme à l'esprit d'aventure, doit cependant contenir son énergie face aux superstitions et autres a-priori des habitants de son village. Campé quelque part en Scandinavie, la vie y est rythmée par les saisons, le travail et les rituels animistes... Cyclique.

    Emkla, Emkla... Ils n'ont que ce nom à la bouche. Jusqu'au jour où tout s'empire, se dérègle... Alors vient le moment du départ... Parfois, il n'y a pas trop le choix.

    Je dois avouer que je n'ai pas tout compris. Une seconde lecture serait nécessaire pour mieux comprendre le message, assez poétique, de cette œuvre. Néanmoins, le scénario est rythmé et plein de surprises.

    J'ai aimé certaines ambiances un peu magiques du livre, notamment les scènes avec les animaux, ou lorsque le personnage central escalade les grandes roches... D'une expressivité rare.

    Le progressisme de cette œuvre est tout aussi évident, sans être stéréotypé : personnage féminin fort, végétarisme, société patriarcale, traditions qui semblent avoir perdu de leur sens, retour à la nature...

    La mise en scène est réussie, avec de belles couleurs aquarellées, d'une tiédeur nordique. Par contre, j'ai été moins convaincu par les dessins. Le trait de Peggy Adam est fin, avec de belles rondeurs, assez féminin je dirais, mais il est aussi assez cassant, presque trop cinglant.

    La divinité Emkla, qui s'incarne dans cette nuée d'oiseaux sur la couverture, m'a tout de suite fait penser à cet album de Valérian : Les oiseaux du maître, où les volatiles rendent fous ceux qui cherchent à s'opposer à leur dieu-maître.

    Ici, comme dans Valérian, la divinité semble punir l'hubris des hommes et des femmes.

    Peut-être est-ce une clé de lecture ? Ou peut-être que non...

    Puisque la nature n'a pas de morale...

    Et qu'Emkla n'a pas la même fortune.

    Zablo Le 30/03/2024 à 11:23:39

    J'attendais cette BD avec impatience...

    Pas parce que c'est l’adaptation d'un livre à succès, le récit d'errance intimiste de MacCarthy, mais plutôt pour l'auteur qui l'a adapté... Gage de réussite. La couverture a aussi fait pencher la balance...

    Sombre et déchéante, l'adaptation de Larcenet est d'une grande réussite. Il transcrit admirablement bien en BD, cette dure et interminable route, parcourue par un père et son fils, alors que l'Humanité part en fumée.

    Le texte est concis mais efficace. Les quelques bulles, disséminées ça-et-là, ne gâchent en rien le plaisir de lecture.

    Le style graphique de Larcenet a nettement évolué, vers un style plus réaliste qu'à l'accoutumé. Que de chemin parcouru depuis ses aventures avec Fluide Glacial !

    Je me délecte de ses nuages de matières, presque informels, qui convoquent mon imaginaire. Je me régale aussi des détails du trait, quand il s'agit de représenter une nourriture irrévocablement perdue. Une précision du dessin qui peut aussi donner la nausée, parfois à rebours, lorsque Larcenet donne à voir la misère post-apocalyptique...

    Car, le but est simple : survivre. Le propos de Larcenet n'en demeure pas moins profond, dans la veine de ses précédents albums : l'amour de la vie (Retour à la terre), à laquelle les héros s'accrochent du mieux qu'ils peuvent, mais aussi les tréfonds de la moralité humaine (Blast) et une dimension psychologique aiguë (Thérapie de groupe). Le vertige de l'abîme !

    Bien sûr, il y a aussi une part de Larcenet dans ce livre, dans ses représentations... L'auteur a participé à réinventer la BD, au tournant du siècle, vers l'auto-fiction. Il semble ainsi s'incarner dans la figure du père : calvitie, barbe, casquette... ne manque que les tatouages et l'embonpoint.

    La route met aussi en scène les relations d'un père et de son fils, coupés du monde. Une certaine vision de la famille face à la crise, la mère n'étant plus que dans leurs esprits...

    Par ailleurs, la transmédialité est un chouia étonnante pour Larcenet. Mais, si le roman La route a été placé sur un piédestal, récompensé par le prix Pulitzer fiction en 2007, la BD fait aussi écho à elle même, avec le fameux Walking dead (2003)...

    En tout cas, La route de Manu Larcenet est une adaptation très intéressante. C'est aussi un pied-de-nez au Monde sans fin de Jancovici, montrant très clairement certains dangers du nucléaire...

    Le tirage limité offre un vrai plus, avec un cahier graphique sur beau papier, dont un passage inédit et plus personnel du dessinateur, rendant cette édition indispensable à mon sens.

    S'il n'est pas le plus éloquent à la télé... Larcenet demeure l'un des auteurs les plus talentueux de notre temps. Que l'on aime, ou que l'on aime pas, chacun de ses livres est une leçon de narration graphique.

    Et pourtant, il reste d'une grande humilité.

    Zablo Le 29/03/2024 à 07:27:07
    À prix d'or - Tome 2 - Tome 2

    Un album qui conclut le diptyque, avec toujours les mêmes atouts, mais aussi quelques maladresses, que ce soit dans le dessin ou dans la mise en œuvre du scénario, avec un flashback peu convaincant, trop long.

    C'est dommage, parce que le tome 1, plus rigoureux, avait montré les talents du dessinateur et de sa scénariste, cette dernière maîtrisant différents types de narrations et capable de mener une histoire assez complexe, notamment en mélangeant les genres et en cadençant puissamment l'action.

    Dans l'ensemble, cela reste cependant un réel plaisir de lire cette BD et de découvrir sa fin.

    Zablo Le 29/03/2024 à 07:25:06
    À prix d'or - Tome 1 - Tome 1

    Une belle découverte...

    Une jeune femme, poursuivie par ses abrutis de beaux frères et de père, se retrouve comme prise au piège, dans une ancienne mine d'or, en Australie. Il va y avoir de la bagarre...

    Contrairement à la majorité, j'aime beaucoup cette couverture, en légère contre-plongée, et pas seulement parce qu'elle est sensuelle... Mais surtout parce qu'elle est claire, chatoyante et d'une grande énergie.

    J'apprécie également le format en album, plus adapté pour ce type de BD.

    A l'intérieur, le trait réaliste de Bernard Khattou, quoique classique, donne efficacement vie aux personnages.

    Le découpage est un modèle du genre : cadrages savamment dosés, éléments narratifs correctement mis en évidence... on peut aussi se perdre dans les détails, pour approfondir notre expérience du livre.

    L'ensemble est particulièrement harmonieux, avec une belle synergie entre le scénario de Nathalie Sergeef et les dessins de Khattou, admirablement mis en valeur par les couleurs numériques de Céline Labriet.

    Les thématiques sont dans l'ère du temps (féminisme, écologie...), mais avec un certain recul, presque journalistique.

    Les personnages sont fouillés, en particulier cette héroïne haute en couleur, aux allures de Lara Croft mais sans le pedigree, pourrait-on dire aux premiers abords...

    Les personnages secondaires sont parfois toxiques, voir dangereux, en particulier les hommes. Mais il y a aussi des figures positives parmi eux.

    On retrouve cet aspect progressiste dans la présence du peuple premier, des aborigènes.

    En ce sens, cette BD n'est pas sans faire penser à la série Blueberry, de Charlier et Giraud/Mobeius... par la radicalité de l'action, son rythme frénétique, son humour désabusé, la crasse (dans tous les sens du terme) ambiante... mais aussi une part de mythe, de spiritualité autochtone et enfin des décors presque désertiques...

    Mais, A prix d'or est également une BD moderne, innovante, de par son cadre géographique, ou encore ses grosses, très grosses voitures, ses manifs écologistes et autres syndicats.

    Enfin, c'est l'un des scénarios les mieux ficelés de 2022, complètement éclectique : mélangeant brillamment le style western avec les problématiques du réel, l'investigation, et d'autres emprunts au thriller social, à l'iconographie zombiesque, à l'aventure, au policier... et surtout de l'action pure, brutale et complètement fictive.

    Quel cocktail détonnant !

    Zablo Le 28/03/2024 à 20:49:37
    Le jeune acteur - Tome 1 - Le jeune acteur 1

    Une BD que je viens de relire...

    Riad Sattouf y raconte les débuts de Vincent Lacoste, qu’il a détecté pour jouer le rôle principal, de ce qui est aussi son premier film en tant que réalisateur, Les Beaux gosses.

    Dans cette biographie, réalisée en tant qu’auteur complet, il alterne entre son propre point de vue et celui du jeune acteur.

    En résulte un récit en miroir, où l’on a parfois la chance de découvrir la même scène, sous deux angles différents. On se rend alors compte des malentendus qu’il peut y avoir, notamment entre Sattouf et le petit Lacoste... Hilarant.

    J’ai apprécié de retrouver les couleurs de l’Arabe du Futur (aplats de bleu et parfois du rouge pour les cases marquantes), dont cette œuvre, en partie autobiographique, est une sorte de continuation.

    On appréciera d’ailleurs certaines similitudes entre les deux BD, notamment quand Riad fait la morale à Vincent, prenant une posture similaire à celle de sa grand mère dans l’AduF.

    Cependant, je suis plus dubitatif quant aux couleurs utilisées pour illustrer la vie du jeune Lacoste, en particulier ce jaune, associé à d’autres couleurs parfois très vives, éclatantes. Cela m'évoque évidemment l’or, la réussite de l’acteur, sous le feu des projecteurs, mais ça pète aussi un peu les yeux...

    Le scénario, très drôle, est plein de dérision. Formidable conteur du réel, Sattouf est aussi passé maître dans l’art de la caricature, fouillant les traits physiques et moraux des gens, leurs attitudes, leurs contradictions, leurs revirements, voir même leurs accidents... Ce qui est autant susceptible de nous faire rire que de nous interpeller.

    Le découpage, rondement mené, est caractéristique de l’auteur : décors simples et épurés, narratifs à la première personne, informations fléchées, bulles rigolotes, pleines pages lors des moments clés...

    Les nombreux détails, semés par-ci par-là, ainsi que la proximité du jeune réalisateur avec son principal acteur, accentuent le réalisme, la crédibilité de l’œuvre.

    Il y a du rythme et on apprécie de suivre la vie d’un jeune acteur. Une première en BD.

    A contrario, on trouve les thèmes habituels de Riad Sattouf, qui ont fait son succès : en particulier l’adolescence, souvent ingrate.

    Les dessins restent dans la même veine que les précédentes BD de Sattouf, de Retour au collège à Pascal Brutal. Je n’ai pas vu de grand changement, si ce n’est que Sattouf est passé à la palette graphique et à des formats plus longs depuis L’Arabe du futur.

    Son trait reste toujours un chouia biscornu, accentuant toujours les nez et d'autres parties du corps... en gros tout ce qui provoque des complexes chez les adolescents.

    Dans tous les cas, c’était une expérience privilégiée, presque VIP, même si l’art de Sattouf, grand prix d’Angoulême en 2023, est éprouvé.

    ...J’attends la suite avec impatience.

    Zablo Le 27/03/2024 à 19:46:34

    Élégante...

    Max Baintiger, un auteur que j’aime beaucoup, a entrepris une biographie bédéesque de la poétesse suédoise Sibylla Schwartz (1621-1638), morte de dysenterie en pleine guerre de Trente Ans.

    La principale qualité de ce livre est son honnêteté. En effet, la BD est ponctuée de récitatifs, où l’auteur explique rapidement qu’elle est en réalité une commande, émanant d’une association. En plus, on a peu d’informations fiables sur cette poétesse... Une gageure.

    Mais, que ça fait du bien, d’avoir un auteur de BD qui explique sa méthode d’interprétation historique, ses difficultés, mais aussi son intention, la nature de son financement, sans fard.

    Heureusement, on a conservé l’œuvre de Sibylla, très dense. Car, malgré une vie trop courte, elle a écrit plus d’une centaine de poèmes.

    Ainsi, Max Baitinger s’appuie sur ce corpus lyrique pour imaginer la vie de Sibylla. Pour cela, il déploie une esthétique puissante, variant les styles avec flegme et poésie.

    La colorisation, quoique numérique, est précieuse pour le récit. Parfois discrètes voir quasi éteintes, les couleurs sont aussi, par moments, flamboyantes !

    Au final, je trouve que l’esthétisme de cette BD surclasse même la versification de Sibylla, dont les mots sont moyennement mis en valeur. Comme si le support, l’écrin, avait pris le dessus sur son contenu, démontrant le potentiel poétique de la BD, que l’auteur maîtrise complètement.

    Dit autrement, les auteurs de BD sont souvent plus doués en dessins que pour écrire.

    D’où la difficulté de composer une biographie à partir, mais aussi sur, des sources poétiques.

    La BD reste cependant d’une incroyable fluidité...

    Et bien inspirée.

    Zablo Le 25/03/2024 à 07:42:31

    A l'image d'Amertumes-Apaches plus récemment, je trouve que Les Apaches est une BD assez inutile, qui n'apporte rien de plus à la série...

    Car, les souvenirs de jeunesse de Blueberry dans le dernier cycle, ont été tout simplement remontés. Quelques planches de Giraud et des modifications ont été rajoutées... faible compensation.

    Surtout, je n'avais pas eu de difficulté à comprendre les motivations du lieutenant, à remplir moi même les ellipses.

    Je trouve donc que, dans ce contexte, la narration géniale et complexe de Giraud perd de sa saveur.

    Enfin, la boucle avait déjà été bouclée dans Dust, le jeune Blueberry ayant été chargé de rejoindre Fort Navajo... Là où l'aventure avait pris place, dans le tome 1.

    En ce sens et à titre de comparaison, même s'y j'extrapole un peu, parce que ça m'a choqué... la BD sortie par Sfar et Blain en 2019, est un véritable hold-up, semant le chaos dans l'univers de Giraud et Charlier, avec des erreurs à gogo...

    ...Pour quelques dollars de plus.

    Zablo Le 24/03/2024 à 19:13:14
    Blueberry (Blain/Sfar) - Tome 1 - Amertume Apache

    En pleine lecture de la série-mère de Blueberry, j'ai éprouvé un sentiment de rejet en ouvrant cet opus de Sfar et Blain, placé en continuation (4ème de couverture) et pourtant bien trop éloigné du chef-d’œuvre initial.

    Pour être honnête, je n'aime pas beaucoup les BD de Sfar, trop confuses (j'adore ses films par contre), et j'exècre les dernières BD de Blain, faussement neutres.

    J'ai aussi beaucoup de mal avec les reprises de BD de manière générale, parfois très litigieuses. Pensons à Gaston... Souvent c'est une histoire d'argent et ce ne sera pas la première fois que Dargaud floute Charlier et Giraud...

    Néanmoins, j'ai essayé de faire abstraction de tout pré-supposé et je me suis relancé dans la lecture.

    En effet, la série est accessible, reprenant certains codes propres au western. Le dessin de Blain, quoique plus proche d'un Lucky Luke sauce Tarantino, est loin d'être mauvais, de même pour les idées de Sfar. Il y a des rochers troués, l'ambiance de Fort Navajo, quelques fantaisies aussi...

    Mais, on demeure très loin de l'esthétisme méticuleux, de la rigueur et aussi du génie de Giraud, ainsi que de la tension et du mélange des genres qu'affectionnait Charlier.

    Surtout, j'ai eu l'impression d'un retour en arrière par rapport à DUST.

    Certes, il y a énormément de femmes et elles sont mises en valeur, autrement que comme des prostituées ou des bonnes mères de famille. Un atout pour cet album.

    Mais pour moi, c'est insatisfaisant. Car d'un autre côté, on en revient à une vision barbare et sauvage des Amérindiens, de l'étranger. Cela plaira beaucoup à Cnews...

    De plus, j'ai en horreur cette violence gratuite, à la fois verbale et physique, comme si c'était ça l'essence du western...

    Sa sélection au festival d'Angoulême est d'ailleurs une vaste supercherie.

    Pour moi cette BD est sans intérêt.

    Zablo Le 24/03/2024 à 18:58:48
    Blueberry - Tome 28 - Dust

    C'est le dernier album de Blueberry et jamais la série n'aura été aussi progressiste, que ce soit par l'omniprésence des femmes ou le regard nouveau porté sur les Apaches...

    Mais, on a été prévenu par le « Démon rouge », personnage anachronique qui reflète plus notre contemporanéité que le mythe de l'Ouest, il y aura du sang.

    Toutefois, rien n'est gratuit dans le scénario. Chaque personnage a un background suffisamment fouillé pour donner un sens à la violence qu'il emploie, quoique souvent illégitime.

    Il est d'ailleurs amusant de voir comment Campbell réagit lorsqu'il tue un homme... Comme pour mieux nous rappeler l'horreur et l'immoralité de ces crimes.

    Si le rythme n'est pas aussi effréné qu'à l'époque de Jean-Michel Charlier, avec des moments de désillusion, de sidération. Il y a aussi des sursauts, des rebondissements.

    On sent que Giraud a travaillé son scénario, pour que tous les bouts se rejoignent, mais aussi pour nous attendrir et nous surprendre. Personnellement, je ne me suis pas du tout ennuyé.

    D'ailleurs, j'ai été stupéfait par les derniers souvenirs que Blueberry, dit Tsi-Na-Pah (« nez cassé »), nous donne de son récit avec Geronimo.

    Bien sûr, c'est une fiction. Mais j'apprécie la réflexion portée par Giraud, sur l'éducation des Amérindiens, punis pour garder leur culture, pour parler la langue de leurs ancêtres. J'admire aussi le rôle pondérateur, nuancé, de la maîtresse d'école, mue par des valeurs universelles et bienfaitrices...

    Et je ne peux qu'applaudir qu'en Giraud fait le parallèle entre l'ethnocide des Amérindiens et la « mission civilisatrice », celle portée par Jules Ferry en France et dans ses colonies, idéologie teintée de nationalisme, de racisme et de xénophobie. Pas si lointain...

    Quelle BD aura fait un chemin aussi approfondi, engagé, autant dans sa recherche d'esthétisme, que dans une volonté de dire des choses sur le mythe de l'Ouest, d'en tirer des leçons sur notre lecture du passé, parfois biaisée, et pour notre présent ?

    A l'heure où les idées fascistes et rétrogrades gagnent du terrain en Occident et que les bourreaux se font parfois passer pour des victimes...

    ...La justesse du propos de cette BD est malheureusement d'une grande rareté.

    Zablo Le 24/03/2024 à 18:56:36
    Blueberry - Tome 27 - OK Corral

    Que de chutes...

    Dans ce nouvel album de Blueberry, les 4 shérifs s'apprêtent à affronter la bande des Clanton. Évidemment, il y aura de la casse.

    On reste dans le scénario feuilletonnant, classique de Blueberry, mais avec plusieurs ramifications et quelques libertés de Giraud, qui adoucissent l'ensemble.

    Le personnage de Ringo, complètement givré, se révèle être une sorte de sérial-killer, qui perturbe le déroulé des événements et donne un aspect assez lugubre à l'album.

    Si Blueberry a gagné en maturité, il est affaibli physiquement, le rendant plus humain, crédible. D'ailleurs, je me demande toujours si c'est vraiment lui le véritable héros de ce cycle.

    Dorée Malone, avec qui il forme un beau couple, lui a été d'une aide précieuse. Belle et protectrice, elle filtrait l'accès à Blueberry (comme certaines gèrent les files de dédicaces en salon). Cependant, elle est maintenant dans une situation délicate, qui a obligé Blueberry à sortir de son lit...

    Ces deux-là servent de modèle à Gertrud et Billy, tout aussi attendrissants. D'ailleurs, Giraud semble avoir pensé ce personnage masculin, qui jouit d'une certaine proximité avec notre nouvelle légende de l'Ouest, pour que le lecteur, ou plutôt le spectateur, s'y identifie.

    Car du spectacle il y en a... Avec un titre comme celui-ci et le talent de Giraud, il ne pouvait y avoir que des scènes d'actions mémorables.

    L'auteur a cependant l'intelligence de faire participer inopportunément certains personnages, comme ce Billy par exemple, qui amène quelques imprévus...

    Ainsi, après avoir été caressé dans le sens du poil, comme un chat ronronnant...

    ...Giraud, qui joue en fait avec nous comme avec une souris, arrivera à nous surprendre,

    Nous prenant à la gorge.

    Zablo Le 23/03/2024 à 21:06:44
    Blueberry - Tome 26 - Geronimo l'Apache

    Qui incarne véritablement l'idéal de l'Ouest ?

    Car, dès la couverture, Geronimo pique la vedette à Blueberry.

    Indubitablement, il s'agit de personnages hauts en couleur, qui commencent aussi à avoir quelques belles rides.

    Cette dualité prend corps dans un récit complexe, propre à Mister Blueberry, jouant sur deux temporalités : celle d’un Blueberry vieillissant, qui narre ses mémoires, dont cet épisode lointain où il a affronté Geronimo...

    En terme de graphisme, c’est l’apothéose de Gir/Moebius. D’autres auteurs se sont d’ailleurs inspirés de ce style par la suite : je pense à Boucq et à Ralph Meyer, plus qu'à Swolfs ou à Hermann, ces derniers s'en tenant au pointillisme.

    Mais, Giraud lui même est venu probablement s'alimenter chez eux, comme chez d'autres, pour créer son style. Les références contenues dans ses derniers albums, témoignent d'ailleurs de sa connaissance du média.

    Quant au scénario, il est toujours aussi intéressant, avec une critique du mérite des « grands auteurs », qui ne sont pas toujours seuls à la plume…

    Une manière de rappeler que Giraud n’est pas un auteur complet sur Blueberry, et que, en plus de s'appuyer sur l'héritage de Charlier, il est aidé par une talentueuse coloriste (Florence Breton), un éditeur, parfois des encreurs (notamment Michel Rouge auparavant)… en somme, une équipe.

    Mais, tout est relatif. Quand on voit les effectifs de certains ateliers de mangakas, Giraud paraît bien seul...

    Et pourtant, son œuvre est particulièrement aboutie. Giraud scénariste sait jouer avec nos nerfs, il sait aussi mettre de l'intensité, comme pour cette scène de combat aquatique avec Geronimo.

    Quelques moments sont un peu tirés par les cheveux, avec le revirement de Clum par exemple… Mais la suspension d'incrédulité reste effective autrement.

    Enfin, il y a ce livre, Moby Dick, qui revient plusieurs fois dans cet album. Pourquoi ?

    Certainement une comparaison avec le chef discret mais charismatique des Apaches, dont le peuple est menacé de disparaître.

    Alors que Blueberry incarne la fougue de la jeunesse, avant de goûter à une retraite au saloon, Geronimo lui, malgré ses capacités et ses valeurs, n'en finit plus de perdre du terrain face aux Blancs.

    Pourtant, il est ce que Blueberry n'est pas, il est la droiture même, il est aussi celui que Blueberry admire, jusqu'à dans ses souvenirs.

    Au final, par le biais de son lieutenant, Giraud nous offre une certaine leçon d'humilité, de respect.

    Zablo Le 23/03/2024 à 21:02:17
    Blueberry - Tome 25 - Ombres sur Tombstone

    Blueberry était mort, Blueberry est vivant…

    Dans cet album, le clan des Clanton prépare un mauvais coup...

    Leur matrone les dirige d’une main de fer, un clin d’œil aux frères Dalton et à leur maman…

    Giraud profite de cet album pour démonter les stéréotypes sur les autochtones, qui provoquent chez certains personnages, de fiction ou non, une haine féroce.

    Un terreau très fertile pour les manipulateurs...

    Dans un mélange des genres propre à la série, l’album renoue avec le format d’enquête, les protagonistes cherchant la réponse aux meurtres soi-disant commis par des Apaches, tout en nous mettant rapidement la puce à l'oreille...

    Ce volume, où le nom du bourg évoque une « pierre tombale », contient aussi des fusillades d’anthologie.

    Je pense en particulier à la planche 19, où un crane renforce la dimension macabre, la dramaturgie de la scène.

    Ce symbolisme se retrouve un peu partout dans le cycle, notamment par des plans rapprochés sur des objets, en particulier des cartes (une influence de son beau-père ou de Jodorowsky…).

    On le voit sur la planche 30 : les flacons entamés représentent la fièvre et la souffrance du blessé, les cartes Blueberry (l’as de coeur) et sa compagne Dorée Malone (la dame de pique), la montre à gousset le temps qui passe...

    Comme pour le tome précédent, Giraud fait de nombreuses références à la littérature classique, mais aussi sur la déformation des témoignages, qui ont conduit au mythe de l'Ouest.

    Car, Campbell et Billy cherchent à publier un livre sur l'histoire de Blueberry, quitte à l'édulcorer un peu...

    Giraud semble ainsi faire un pied-de-nez à certaines critiques sur le « réalisme » de ses BD, approfondissant la psychologie de ses personnages et donnant à voir la vie quotidienne de l’époque.

    Il amène une réflexion critique sur le mythe de l'Ouest, plutôt que de broder sur des faits divers.

    Car, depuis longtemps, Giraud sait faire ressentir l’odeur de crasse et le brouhaha des saloons de l’Ouest.

    Il montre aussi les formes insidieuses des guerres contre les Apaches, notamment le nettoyage ethnique entrepris par le révérend Younger dans son orphelinat, ou plutôt sa prison pour enfants (thématique reprise ensuite dans Hoka Hey).

    Comme Billy, qui se dévergonde peu à peu, on est pris aux tripes par la conquête de l’Ouest, que l’on voit par le petit trou de la serrure. Comme si le mythe de l’Ouest, raconté par Giraud, contenait une part de réalité, celle de l'Histoire américaine.

    Néanmoins, Giraud cherche parfois à transcender ses dessins. Ils sont toujours aussi bien maîtrisés, mais avec quelques teintes de surréalisme, comme cette scène d’escalade à la fin de l'album, inspirée de l’Incal.

    Au final pas trop surpris de voir Blueberry vivant, quoique la faucheuse n'était jamais passée aussi près.

    Zablo Le 23/03/2024 à 20:57:42
    Blueberry - Tome 24 - Mister Blueberry

    Wahou…

    Giraud revient seul avec un nouveau cycle du lieutenant… ou plutôt de Mister Blueberry. Et quelle claque !

    Graphiquement, c’est toujours aussi bon. On retrouve le style d’Arizona Love, où l’auteur révèle toute la richesse de son art : rigueur du trait et profusion des détails, propres à la série, mais avec plus d’épure et une fougue esthétique, expérimentée sous son pseudonyme Moebius.

    Giraud fait donc du neuf avec du vieux : après tout, c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures….

    Et c’est bien le propos du livre : un ensemble de récits secondaires tourbillonnent autour d'un Blueberry âgé (il commence à avoir des cheveux blancs, comme son auteur…), posé le cul sur une chaise à faire des jeux de hasard.

    Les thématiques sont toujours un peu les mêmes (en particulier le poker, les tireurs d’élite, l’ambiance de saloon, les Apaches, les outlaws…), tout comme les planches restent découpées en deux parties (A et B) dans leur largeur.

    Comme ce fut le cas dans les précédents albums, certains personnages m'ont fait penser à des personnages réels ou fictifs : c’est Campbell, aussi boursouflé que Balzac, ou son secrétaire, au petit air de Little Némo mais adulte…

    Dans les albums suivants ce seront aussi Bluch, Lucky Luke, Neige, Mac Donald's, Billy the Kid, Mickey, Harry Potter, le déjeuner de Monet et j'en passe... Des clins d’œil un peu lourdingues en réalité.

    De fait, quoique Giraud a essayé de rester dans le cadre, le scénario contraste un peu avec ceux de Charlier auparavant. D'une dimension moebiusienne, il n'en demeure pas moins réussi.

    J’ai été happé dès l’accroche, avec une mise en abîme où Campbell et son secrétaire venus de Boston, en bons pieds tendres, découvrent l’Ouest avec stupeur.

    Le plus jeune, commençant à se faire des « films », son patron lui répond : « Billy, tu as trop lu d’histoires de cow boy »...

    Et puis quelle tension, que ce soit autour des mises du poker, du bluff, des relations parfois tumultueuses entre les personnages… mais surtout de la ville toute entière, qui semble comme prise dans la folie d’un jeu dangereux.

    Giraud profite aussi de ce cycle pour développer, en creux, certaines réflexions contemporaines sur les Western voir la littérature.

    D’un côté, il recycle les mythes de l’Ouest (Earp, Géronimo…), de l’autre il cherche à démontrer certaines de ses incohérences (garçons de vaches).

    De la même manière, il semble faire un parallèle, pas si vaniteux, entre Homère et le mythe de l’Ouest, entre le théâtre et Blueberry…

    Une manière de dire toute sa fierté, celle d'avoir contribué à une série marquante pour plusieurs générations.

    Car oui, cette BD est exceptionnelle. Encore aujourd'hui, elle me fait passer par toutes les émotions : la peur, le rire, la joie, la surprise…

    Ce seul volume justifie à lui seul le grand prix d'Angoulême, obtenu par Giraud 14 ans auparavant déjà.

    Zablo Le 23/03/2024 à 20:50:53
    Blueberry - Tome 16 - Le hors la loi

    Que de manipulations dans cet album…

    L’ex-lieutenant, dont on connaît les talents d’évasion, finit par prendre le large. Mais il est mystérieusement rattrapé par une bande de brigands...

    Charlier nous sert un récit assez psychologique, agrémenté de moments plus potaches.

    Dans ce mélange de genres, les personnages sont particulièrement bien fouillés... mais aussi assez malsains. Je pense notamment au personnage androgyne d’Angel Face, de Kelly, de Blake, voir même au retour de Guffie Palmer.

    Depuis le tome 12, souffle un vent nouveau dans les scénarios de Charlier, mais aussi et surtout dans les dessins de Giraud.

    Il y a beaucoup de matière, une ambiance angoissante, propre à la revue Métal hurlant, où Gir officie sous le nom de Moebius.

    Certains décors sont empreints de surréalisme, de fantastique. C’est le cas avec la maison de Guffie Palmer, plantée seule en haut d'une colline... Inquiétant, à l’image du film Psychose.

    Le découpage est tout aussi novateur, malgré la présence de la sacro-sainte ligne médiane.

    La mise en couleur est éloquente, un atout depuis les débuts de la série.

    En bref, un début de cycle convaincant, qui part sur un rythme effréné, tempo donné par le scénario de Jean-Michel Charlier.

    De fil en aiguille, Blueberry semble ainsi se jeter dans la gueule du loup…

    ...Bien malgré lui.

    Zablo Le 22/03/2024 à 15:59:06

    Un énième roman graphique...

    Lora Lorente, autrice espagnole, y raconte une histoire empreint de réel : une femme de 34 ans revient dans sa maison d'enfance, où plane l'absence des figures maternelle et paternelle...

    J'ai été pris d'intérêt par l'esthétisme de cette BD, au trait fourni et granuleux.

    L'absence de polychromie, contrairement à ce que pourrait laisser penser la couverture, souligne cependant l'indigence du personnage principal et donne un ton plutôt terne à l'intérieur.

    Pendant la première partie de cette BD, je dois avouer que je me suis un peu ennuyé... Le rythme y est figé, comme pour mieux montrer l'immobilisme de Mary Pain.

    Probablement aussi que je manque de tolérance vis-à-vis des égo-fictions, courantes dans le marché du livre. L'abondance des planches nuit parfois à leur raffinement.

    Pourtant, le travail de Lola Lorente est colossal et elle a le mérite d'aborder des sujets intéressants, dans une perspective singulière, allégorique : le regard culpabilisant des bigots, les drames familiaux, l'aide aux soins qui n'est pas rémunérée, la sexualité, l'expropriation...

    De plus, avec une figure féminine à la personnalité profonde, ronde sans être complètement empâtée, mais aussi très sensible, l'autrice casse les codes. Ses faux airs de Lolita, son déhanché insouciant, son look éclectique, mi-punk mi-princesse... Mary Pain électrise son monde. Elle doit faire face à une flopée de problèmes... et pourtant, elle procrastine.

    Toutefois, à partir du milieu de la BD, la narration s'accélère, prenant un rythme endiablé, qui évoque le sursaut de Mary Pain. Il y a des surprises, autant dans le scénario que dans le cadrage des plans, osés, et dans l'esthétique un peu grasse, spongieuse, hypnotique... en un mot, underground.

    Le corps charnu de Mary Pain prend alors une dimension érotique, expérience nouvelle pour moi... comme du Crumb, mais en mieux. La touche féminine sûrement...

    Finalement, je dois admettre que je suis touché par ce jeu irréel avec les fantasmes, mais aussi et de manière différente, les angoisses de Mary Pain.

    Zablo Le 19/03/2024 à 17:45:31

    Une expérience bigarrée.

    Au départ, la BD porte le nom de son personnage principal, John Difool. Il s'agit d'un anti-héros, détective de « classe R » fainéant, pleutre et incompétent, à qui les « rob-fliks » reconnaissent tout de même la qualité d'être « un bon informateur ».

    Évoluant dans un univers « cyber-punk », il est accablé par les ennuis et ce n'est que le début... Car, en récupérant une petite pyramide lumineuse, l'Incal, il devient la cible de la pègre de « Suicide-Allée », puis d'une quantité infinie d'adversaires.

    Or, cet éclopé de John Difool n'est pas tout à fait seul. Deepo, sa « mouette à béton », lui tient compagnie voir lui sert de psychanalyste... Et il rencontre d'autres personnages : le Méta-baron, Tête-de-Chien, Animah... qui feront pour certains l'objet de séries dérivées...

    Force est de constater que l'Incal est une BD d'exception, que ce soit par son esthétisme ou son scénario. Elle est apparue à une époque où la BD se métamorphosait, sous l'influence de la contre-culture, des auteurs de la revue Métal Hurlant (1975-1987), dont Moebius fait partie, mais aussi des volutes de fumée et autres champignons hallucinogènes...

    Conçue par Jean Giraud et Alejandro Jodorowsky, après l'échec de leur adaptation du film Dune, elle démontre leur résilience, dont le travail a finalement eu une influence considérable (notamment sur les films de SF). Pour ne donner qu'un seul exemple, un peu dérisoire, le nom de Difool a été repris par un célèbre présentateur de radio français...

    Pour ce nouvel ouvrage, Gir, l'ardent dessinateur de Blueberry, troque le pinceau pour la plume et se transforme en Moebius. Il est chaperonné par Jodo, cinéaste surréaliste, adepte du tarot et inventeur de la « psychomagie »... L'un a été marqué par l'absence de père, l'autre par la violence de son géniteur. Tous les deux vont se défoncer pour cet ouvrage.

    Enfant, j'avais été frappé par la modernité et la puissance de ce livre : univers en renouvellement permanent, images psychédéliques, humour caustique... Moins barbant qu'une cathédrale et plus savoureux que les jardins de l'Alhambra.

    Adolescent, j'ai apprécié son ton irrévérencieux, sa satyre : contre la société du spectacle, le libéralisme économique, le matérialisme, l'entre-soi des élites... Voilà aussi un livre que l'on ne me forçait pas à lire.

    Puis, j'ai essayé de comprendre ses métaphores, ses symboles (notamment les chiffres, les allusions à l'alchimie, les couleurs, les formes...), le message que voulait faire passer Jodorowsky.

    Je dois avouer, qu'au détour de mes lectures répétées de l'Incal, j'ai aussi pu lui trouver un aspect un peu ridicule, avec quelques facilités dans le dessin ou les dialogues.

    D'ailleurs, rien à voir, mais il y a cette vidéo des Inconnus sur la peinture qui ne cesse de parasiter mon esprit... « il n'était pas peintre, il était juste une sorte de fou, un peu mystique qui, qui se foutait de la gueule du monde, comme moi, mais avec oune sorte de crédibilité ».

    Certes, dans l'Incal il y a quelques bémols et des petits couacs. Pourtant, je ne pense pas que les auteurs se moquent de nous.

    Au contraire, j'admire la dimension métaphysique de cette BD, si rare maintenant, à l'heure de la BD du réelle. Jodo et Moebius ont pu laisser libre cours à leurs envies, la maîtrise graphique de l'un permettant à l'autre de faire parler son inconscient.

    Et que dire de l'énergie spirituelle de cette œuvre : elle n'est pas chrétienne, ni juive ou même musulmane, bouddhiste ou chamaniste... elle est tout à la fois, syncrétique.

    J'aime aussi ses couleurs vives, à la gouache, caractéristiques d'une époque où l'image primait sur le texte. Les lignes, les figures géométriques, mais aussi la fulgurance et la pureté du trait de Moebius, sont d'une beauté quasi divine. Il y a une mise en scène radicale, des scènes d'envol et de chute, des décors impossibles, des surprises de taille, de l'éclectisme...

    Je ne suis pas sûr que je revivrai la même chose en relisant cette BD dans 20 ou 30 ans...

    Mais, ce qui est certain, c'est que je garderai de l'affection pour ces planches.

    Zablo Le 15/03/2024 à 23:04:08
    Blueberry - Tome 6 - L'homme à l'étoile d'argent

    Une référence irréfragable du Western...

    Et pourtant, je ne peux m'empêcher de repenser à d'autres classiques, cinématographiques cette fois-ci : en particulier le troublant L'homme aux colts d'or de Dmytryk.

    L'amorce est quasiment identique : une famille de cow boys crapuleux, accablants un village de l'Ouest, assassinent lâchement le shérif. Désœuvrés, les villageois décident alors de faire appel à un tireur d'élite et lui laissent le champ libre pour gérer la situation...

    Ce parallèle montre l'influence du genre cinématographique sur l’œuvre de Charlier et de Giraud, que ce soit dans les scénarios, les cadrages, les décors voir même les gueules et les attitudes. Pas besoin d'être un spécialiste pour le remarquer. Cependant, la BD Blueberry remâche le mythe, pour donner naissance à une autre forme de pot-pourri...

    Plutôt qu'Henri Fonda, l'homme de la situation est ici le lieutenant Blueberry, accompagné de Mc Clure, ce fieffé alcoolique... Il y a beaucoup d'humour et de dérision dans cette BD, plus que dans les westerns hollywoodiens des années 1950/60. Toutefois, Charlier sait jouer avec la gravité de l'enjeu (la dignité humaine et des vies à sauver) pour faire monter la tension.

    Le style du dessinateur, Giraud, va dans ce sens : donnant des expressions variées à ses personnages, parfois burlesques (jugez la tête de « Marlowe » sur les planches 13 à 14), souvent malicieuses (notamment le lieutenant, qui n'est pas du genre à se démonter), leurs identités graphiques sont profondes et immédiates. Le trait de Gir n'est pas seulement clair et lisible, il est aussi précis et élaboré (voyez la fusillade pl. 23, où Blueberry se tient au comptoir pour stabiliser son tir dans sa chute).

    Néanmoins, les dessins de Giraud n'ont pas encore atteint leur pleine maturité : difficile de faire la différence entre Blueberry et ses adversaires planches 42 et 45, avec les mêmes physionomies et les mêmes vêtements... Comme si le nouveau marshall se battait contre son reflet, contre lui même... Drôle d'impression. Il y a aussi quelques redondances avec les albums précédents...

    Mais j'aime cet album. Déjà parce qu'il a fait partie intégrante de ma jeunesse, mais aussi parce que c'est une expérience différente de celle du cinéma : les cases ne sont qu'un support à notre imagination et le récit contient en creux les arguments d'un ANTI-western. Après tout, rebelle et un peu en marge, Blueberry n'est-il pas lui même un ANTI-héros ?

    Certes, Miss Marsh subit quelques vexations, Blueberry étant taxé d'« ANTIféministe vieux jeu et prétentieux ». Mais les personnages de cet album, particulièrement bien réussis, sont plus complexes qu'on ne pourrait le penser aux premiers abords, un modèle du genre. Faites-vous une idée.

    Enfin, si Blueberry a puisé dans la manne américaine, elle est devenue LA référence du Western dans le 9ème art : combien d'auteurs s'en sont-ils inspirés ? Me viennent en tête pêle-mèle : Lincoln, Calfboy, Bouncer, Chinaman, Undertaker, Ladies with guns et plusieurs piles d'autres...

    Alors pourquoi est-il pratiquement impossible de trouver la série complète du lieutenant en bibliothèque ? Parce qu'elle est assimilée à de la contre-culture voir à de la sous-culture (dixit Zemmour) ? Parce que trop commerciale ? Vieille et poussiéreuse ? Sans intérêt ? Trop masculine ? Trop juvénile ? Trop populaire ? Cancel culture ? Trop longue ? Complexe ? Pas la place ? Non...

    ...Politique du je m'en foutisme.

    Finalement, j'aurais tout de même réussi à me procurer l'intégrale des Blueberry dans une bibliothèque, hors des métropoles...

    Zablo Le 13/03/2024 à 16:18:44

    Je préfère les chats, mais bon...

    Le chien en question vient bouleverser la vie d’un artiste un peu raté, « Morose », qui trouve l’inspiration grâce à cette présence bienveillante. Inquiet de cette ascension nouvelle, son voisin, « Dubonheur », artiste ultra connu et devenu richissime grâce aux portraits de son propre animal de compagnie, un félin, en devient particulièrement envieux et aigri...

    La BD part sur un bon rythme, avec de belles idées scénaristiques, des pirouettes bien senties... La mise en scène est remarquable, avec quelques surprises selon les pages... L’auteur sait guider notre regard.

    Néanmoins, j'ai eu du mal avec l'aspect graphique, paradoxalement moderne et kitsch à la fois. Certes, c'est un ressort comique du livre, avec un effet pastiche. Mais le travail à l’ordinateur a tendance à me rebuter. Ne vous attendez pas à quelque chose de beau, selon les critères habituels en tout cas...

    L'esthétique du chien en particulier, mis en valeur sur la couverture, est très vilaine... Cela me fait penser à ces mémères et ces pépères, vous savez, celles et ceux qui aiment leur canidé, avec un amour immodéré, plus qu'ielles n’en ont pour les êtres humains.

    Les personnages ont aussi une allure marquante, avec de gros yeux noirs, qui évoquent plus le manga que le franco-belge.

    Ce ton, autant dérisoire que mièvre, se retrouve dans les jeux de mots (« dog-matisme », « malgré toutou », « Jack Kerouaf »...) ou autres phrases de leitmotiv...

    Si ce livre est accessible, il a aussi plusieurs niveaux de lecture. Il s'interroge, avec un certain humour, sur l'art et son jugement, les rivalités malsaines dans l'art, la mode ou encore les préférences, chien ou chat... Il pose ainsi de multiples questions :

    Comment faire un chef d’œuvre ? Est-ce qu’il faut de la maîtrise, un temps de labeur, un atelier digne de ce nom, de l’inspiration, un certain état de forme ? Est-ce qu’il s’agit simplement d’une affaire de goût, de rencontres ? Quelle est la place du public dans la réception de cet art ? Est-ce qu’il faut produire beaucoup, avoir une réflexion intellectuelle sur son travail ? Quelle est la place de l’argent, des récompenses et des médias, mainstream ou non ? Est-ce que l'art doit véhiculer un message, des émotions, respecter des canons académiques ou au contraire les faire évoluer ? Et puis après tout, est-ce qu’on s’en fout pas un peu, tant qu’on aime faire de l’art, que quelqu’un l’apprécie...

    Néanmoins, n’espérez pas trouver de réponses sérieuses à ces questions, pourtant intéressantes et non orientées sur le 9ème art. De plus, la relation des maîtres à leurs animaux m’a profondément ennuyé.

    D’autres BD m’ont apporté des expériences bien plus épiques, mystiques, enrichissantes intellectuellement ou parfois à se pisser dessus tellement elles étaient drôles ou effrayantes. Il est vrai que ce n’est pas tous les jours..

    Ici, j’avoue que je suis resté un peu sur ma faim. J’admire cependant cet auteur, qui a su faire ce que moi je n’ai jamais fait. Mais ce n’est pas ce dont je rêve en tant que lecteur.

    Le Nécromanchien n’en demeure pas moins une œuvre singulière, cérébrale...

    ...et pleine de second degré.

    Zablo Le 03/03/2024 à 18:20:05
    Blueberry (La Jeunesse de) - Tome 5 - Terreur sur le Kansas

    Un nouvel épisode de la Jeunesse de Blueberry...

    ...qui prolonge l'expérience des Démons du Missouri, avec Charlier et Wilson aux commandes.

    Le scénario est intéressant, basé a priori sur des faits historiques. Mais les dessins sont plus inconstants et le résultat est très en dessous du précédent volume.

    L'encrage et la colorisation sont moins bien léchés, avec des traits plus grossiers, comme si Wilson avait changé de technique entre les deux albums.

    Les visages des personnages féminins sont particulièrement repoussants. Le personnage de Nugget notamment, dont l'ambivalence amenait un peu de piment dans l'opus antérieur, perd tout son intérêt. De ce fait, je suis resté incrédule tout au long de l'album.

    ...On pourrait s'en passer.

    Zablo Le 03/03/2024 à 18:19:14
    Blueberry (La Jeunesse de) - Tome 4 - Les démons du Missouri

    Probablement le meilleur album de la Jeunesse de Blueberry...

    Pour la première fois après Jijé, un autre dessinateur prend le relais de Giraud. Wilson relève le défi, celui de remplacer un maître, un virtuose du trait.

    Dans cet épisode, Blueberry est chargé de découvrir où se terre Quantrill, un outlaw qui mène ses troupes irrégulières à l'assaut des Unionistes.

    Ses recherches conduisent Blueberry dans les montagnes du Missouri. Il y fait la rencontre d'une femme et d'un vieillard dans un trading-post, qui évoquent l'existence d'une ville fantôme...

    La mise en scène et les graphismes, très appliqués, sont fidèles à l’œuvre originale. Quoique les dessins de Wilson n'ont pas la fulgurance de Giraud.

    Le scénario de Charlier, d'un seul tenant cette fois-ci, est efficace. On retrouve de l'audace, des coups fourrés, du mystère, de la camaraderie et de la sensualité aussi. Les références aux albums antérieurs, comme Tonnerre à l'ouest et La piste des Navajos, sont évidentes.

    Certaines scènes, d'une force expressive autant que réaliste, ont marqué ma jeunesse.

    Indispensable.

    Zablo Le 02/03/2024 à 17:21:11
    Blueberry - Tome 23 - Arizona love

    Au delà de l'amour...

    Depuis longtemps, les femmes de la série nous faisaient fantasmer. Amoureux frustré, jamais Blueberry n'avait réussi à conclure avec l'une d'elles.

    Débarrassé de la plupart de ses soucis, il a maintenant l'occasion de retrouver la femme de ses rêves : Chihuahua Pearl, plus ravissante que jamais.

    Mais, il reste un problème de taille... Chihuahua Pearl est en passe de se marier dans le Nouveau Mexique...

    Cet album est un nouveau tournant pour la saga Blueberry. Déjà parce que Giraud doit finir seul l'album, Charlier étant décédé en 1989.

    Le trait de Giraud évolue, à l'économie. Il gagne cependant en clarté, en efficacité, faisant un effort particulier sur les silhouettes et les ombres, plus que sur les formes et les reliefs des personnages. Fini le festival des hachures et des aplats noirs anguleux, qui faisait le charme du Spectre aux balles d'or.

    La mise en couleur, de Florence Breton, plus discrète et moins fauviste, se détache également de la colorisation originale.

    De plus, Pearl confisque à Blueberry le rôle principal (entre autres), introduisant et clôturant l'album. Presque un changement de paradigme, quoique le style de Blueberry, emprunté au western spaghetti, autorisait déjà les intrigues annexes, autour de personnages secondaires.

    Son mariage gâché (peut-être un parallèle avec la vie de Giraud...), une nouvelle fois, Chihuahua Pearl doit faire ses propres choix... Est-ce que ce sera Blueberry, coup de foudre d'un soir et maintenant plein aux as, qui l'invite pesamment dans son « aiguille creuse » à lui ? Prendra-t-elle son indépendance, traçant son propre chemin, comme elle avait déjà pu le faire auparavant ? Ou bien choisira-t-elle Stanton, qui lui offre depuis longtemps confort et douceur de vivre, mais dans une colère terrible depuis qu'elle s'est fait kidnapper ?

    Tout ce que l'on peut dire, c'est que ce sera, à l'image de la relation de Charlier et de Giraud...

    ...une ode à la volonté libre et à l'amitié.

    Zablo Le 02/03/2024 à 17:19:53
    Blueberry - Tome 22 - Le bout de la piste

    Il est temps de liquider quelques figurants...

    Le scénario de cet album me laisse pantois. La BD m'est même un peu tombé des mains.

    Peut-être que c'est dû à une forme de train train quotidien, l'opus faisant écho à d'autres volumes antérieurs, comme le tome 5 notamment... Peut-être que la série s’essouffle aussi un peu, les albums paraissant de plus en plus rarement.

    En outre, les personnages sont très bavards, alors qu'on a eu le temps d'en oublier certains... Car l’œuvre de Charlier et de Giraud est désormais très riche, complexe. Cela en devient un peu fastidieux de tout suivre.

    Mais ne jetons pas le whisky dans l'eau de la rivière... Certains éléments de l'album valent qu'on le lise.

    Le retour d'Angel Face par exemple, ce tueur professionnel dont les stigmates du visage, rongé par le feu, décuplent sa haine de Blueberry. Terrible, il nous réserve une fusillade digne de ce nom.

    La peur et l'humiliation de Kelly nous procure également un plaisir coupable, après ce qu'il a fait subir à notre tête brune préférée.

    De cette manière, les protagonistes du complot contre Grant tombent peu à peu...

    ...On ne les plaindra pas.

    Zablo Le 02/03/2024 à 17:18:39
    Blueberry - Tome 21 - La dernière carte

    La révolution au Mexique...

    De retour à Chihuahua, notre anti-héros se met à la recherche de Vigo, sa « dernière carte » pour prouver sa bonne foi auprès de Grant.

    Bien sûr, les choses ne se passent pas comme prévu... Blueberry est coutumier du fait. Emprisonné puis condamné à mort (décidément...), mais cette fois-ci avec ses acolytes, les éternels Mc Clure et Red Neck, c'est finalement une nouvelle révolution qui les sauve...

    Toujours, Charlier fait du neuf avec du vieux... Et pourtant, c'est sûrement l'un des albums de Blueberry que je préfère, parce que la maîtrise des deux auteurs est là. Peut-être aussi parce que je retrouve certaines sensations des western spaghetti en lisant cet album : l'humour, la radicalité du scénario et de l'esthétisme, une forme d'anarchisme et même un certain lyrisme... Cathartique.

    D'ailleurs, le trio central est toujours aussi désopilant. Les intrigues complexes et fouillées, tissées par Charlier, tiennent la route, avec un volte-face scénaristique permanent. Des personnages s'invitent également dans l'univers de Blueberry : Lulu Belle (encore une femme double), « El Tigre » (dont le surnom prend tout son sens en fin d'album)...

    Surtout, il y a des scènes d'action d'anthologie, comme il y en avait pas eu depuis plusieurs albums : l'évasion de Vigo donne lieu à un festival de fusillades, parfois violentes, avec de terribles explosions, des coups de poker, des chevauchées frénétiques et autres cascades virevoltantes...

    Certes, les dessins et l'encrage sont moins approfondis, Blueberry passant même pour un bellâtre parfois. Mais ce que les décors et les visages des personnages perdent de burinage et de hachures, ils le gagnent en clarté, en lisibilité.

    Les aplats de couleur en fond, bleu ou rouge, viennent d'ailleurs souligner la tension scénaristique. C'est aussi par la couleur que Fraisic Marot fait ressortir l'aveuglement d'El Tigre pour l'or.

    Au final, le coup d’État ne semble pas changer grand chose pour la population. Mais...

    ...permet à Blueberry de prendre un nouvel envol.

    Zablo Le 02/03/2024 à 11:15:28
    Blueberry - Tome 20 - La tribu fantôme

    Comme une spirale...

    On retrouve dans cet opus certains points forts de la série : des personnages secondaires forts, que l'on a déjà croisés ; des cavalcades épiques et autres embuscades dans les canyons ; un humour au ton moqueur, satyrique ; un découpage complexe mais dynamique...

    Jean Giraud dit Gir est toujours présent à la table à dessin, quoique ses projets personnels, sous le pseudonyme de Moebius, prennent de plus en plus de place...

    Le dessin reste beau et de plus en plus stylisé. Giraud délaissant parfois le pinceau pour la plume. L'impact de cette patte "Moebius" se ressent en particulier dans certaines mimiques, des gestes, des postures et dans le traitement graphique des déserts.

    Les paysages arides de l'Ouest sont toujours aussi plaisants à voir, magnifiés par les couleurs : jaune éclatant le jour, rosé lors du coucher du soleil et bleu azur le soir.

    Dans une narration double, Charlier met en scène Eggskull, qui remonte peu à peu, avec l'aide de son chien Baal, la trace de la « tribu fantôme », à savoir les Apaches aidés par Blueberry.

    Le rythme est assez lent dans l'ensemble, s'accélérant un peu sur la fin, comme pour une enquête, un thriller.

    Cette narration, singulière, permet de dépasser une sensation de déjà vu, par rapport à d'autres cycles. Adulte, elle donne de l'intérêt à l'histoire, alors que Blueberry était destiné au départ à de jeunes hommes.

    Mais de toute façon, lorsque l'on est piqué de Blueberry, on est un peu comme Mc Clure et sa bibine, boisson qui habite jusqu'à ses rêves...

    On y revient toujours.

    Zablo Le 01/03/2024 à 19:06:50
    Blueberry - Tome 19 - La longue marche

    La roue tourne...

    Quoique condamné à être pendu haut et court, Blueberry trouve la ressource pour s'en sortir, comme toujours.

    Mais il n'est pas seul. Charlier en profite effectivement pour recycler ses vieux personnages : Mc Clure, Red Neck, ou encore Chihuahua Pearl... et on ne peut que s'en réjouir.

    Cette fois-ci, Blueberry est plus heureux en amour, récoltant plus de baisers que de balles.

    Autrement, l'ambiance reste à peu près la même, énergique (attaque de train...), parfois grave (déportation des natifs...), mais avec toujours une pointe d'humour, de dérision.

    Les dessins sont invariablement bons, quoique le découpage peut être un peu biscornu, prenant de tangentes inhabituelles... Une nouveauté du cycle.

    Autre innovation, le rôle du cheval est souligné dans l'intrigue par Charlier, un lappaloosa permettant à Blueberry d'échapper aux troupes du gouvernement américain. Rien d'anormal dans un western...

    En définitive, un album fort sympathique, qui compense un peu les déboires de Blueberry précédemment. Avec une fin plus heureuse pour notre protagoniste principal, se réconciliant avec les femmes et même Vittorio.

    Zablo Le 01/03/2024 à 11:19:50
    Blueberry - Tome 18 - Nez cassé

    Un combat de coqs...

    Un mystérieux étranger vient d'arriver dans la réserve. On devine rapidement que Nez Cassé n'est autre que Blueberry, dont l'amour pour la fille de Cochise, Chini, suscite une compétition virile avec Vittorio, un Apache au nom hispanique, qui en vient à prendre des risques insensés.

    Force est de constater que le scénario a pris une tournure résolument progressiste, puisque Blueberry, devenu renégat (avec une prime de 50 000 dollars sur sa tête...), vient chercher refuge chez les Amérindiens. Les femmes ont également un rôle croissant dans la série (quoique discutable).

    Ce duel reflète les divergences, au sein du camp des courageux Apaches. Sujet aux humiliations et autres violences récurrentes d'une partie des colons, des natifs veulent prendre leur revanche, repartir en guerre. C'est la tentation de Vittorio et de l'aile dure, qui tend à convaincre la majorité, émue par les exactions des Blancs. Quand d'autres, autour de Cochise et Blueberry, qui ne veut pas faire couler le sang contre ses anciens frères d'armes, souhaitent une solution plus raisonnable.

    Mais, Chini se désintéresse complètement des deux gaillards... dont les exploits lui paraissent très stupides. Elle préférerait « une boîte à moudre le temps et une robe à squaw blanche », traduction littérale et imagée de la langue athapascane.

    D'ailleurs, Giraud brosse son visage de la même manière que celui des femmes blanches (comparez les planches 11 et 12 par exemple) : épuré, presque sans hachures, avec des yeux tournés vers le bas, des sourcils fins, un petit nez (quoique fin pour Chini et plus rond pour Thelma) et des lèvres pulpeuses, le menton et les commissures des lèvres remontant parfois un peu selon leurs émotions. Seuls leurs habits, leur coiffure, leur maquillage et leur couleur de peau diffèrent.

    Les natifs ne semblent plus que l'ombre d'eux mêmes, attirés par une culture autre et sous la pression des pionniers américains.

    Les décors d'Apache-Pass, superbement dessinés, viennent accentuer la pesanteur de ce contexte. Giraud utilise toute une gamme de fines hachures, d'aplats noirs ondulants... pour affirmer les pentes saillantes du nid d'aigle, où se terrent les Apaches. Une multitude de taches noires viennent modéliser les fourrés, autour de Fort-Bowie et du trading post à proximité.

    Mais, si les graphismes sont toujours plus minutieux, le scénario de ce cycle a pris un ton plus potache, souligné par les expressions des visages.

    La gravité de la situation des Apaches est également atténuée par des réflexions très second degré.

    Mais la tension est tangible et l'arrivée de nouveaux personnages, comme Will Bill Hicock ou l'éclaireur Eggskull et ses chiens Gog et Magog, aux consonances sacrées, semblent sonner le glas des Apaches...

    En somme, l'affrontement entre Blueberry et Vittorio n'est pas seulement vain et ridicule, Blueberry ayant toujours autant de difficulté à trouver l'amour...

    Il amène le désordre et le chaos, la violence et la souffrance...

    ...dont le mal sera bien difficile à réparer.

    Zablo Le 29/02/2024 à 22:34:57
    Blueberry - Tome 17 - Angel Face

    Il ne faut pas se fier aux apparences...

    Le 22 novembre 1963, John Fitzgerald Kennedy est assassiné en pleine ville de Dallas, au Texas. Si Lee Harvey Oswald semble être celui qui a appuyé sur la gâchette, de nombreuses théories du complot, autour des commanditaires de l'assassinat, viennent enflammer les débats. Vraisemblablement, ces récits ont influencé le scénario d'Angel Face.

    Sauf que là, c'est le président Ulysses S. Grant (élu président quelques années après l'assassinat de Lincoln en 1865) qui est visé, tandis que Blueberry fait office de bouc-émissaire, ce qui lui vaut un placard à 10 000 puis 20 000 dollars.

    Durango, petite ville décorée aux couleurs des USA pour l'occasion, sert de cadre à l'action. De nouveaux types de personnages sont introduits et permettent quelques pirouettes scénaristiques : détectives privés, pompiers, petite vieille...

    Et quelles sacrées trognes ! Entre le vieux porc de tunique bleu, le politique imbu de lui même, ou encore le shérif qui bat sa femme... Giraud sait donner vie à ses personnages, même secondaires, quitte à la reprendre au bout de quelques cases...

    La figure ambivalente d'Angel Face, en particulier, est assez marquante. Cet assassin, expert dans le maniement des armes, a un visage juvénile, si épuré qu'on pourrait le confondre avec l'un des personnages féminins. Et pourtant, ses traits fins, son nez aquilin, son regard perçant, son arme de précision, sa bouteille de 'sky... trahissent sa véritable personnalité, venimeuse, relevée en fin d'album par une palette de verts.

    Du reste, la mise en couleurs est assez terre à terre, hormis certains passages, soulignés par des couleurs vives, expressives. Le rouge notamment, à saturation pour le sauvetage de la vieille dame, vient accentuer la dramaturgie de l'incendie, ainsi que celle des fusillades.

    Mais Angel Face est aussi une histoire de travestissement, celui du complot contre Grant, qui oblige Blueberry à changer régulièrement d'habits et de cachette. Il finit même par adopter la moustache, à la Freddy Mercury...

    En résulte un western hybride, un vrai mélange de genres : à la fois thriller, avec une réelle tension narrative... mais aussi vaudeville, avec ses blagues potaches, ses caricatures et son comique de situation.

    La vérité vient finalement dans le feu qui, comme pour le miroir de Dorian Grey, reflète l'âme moribonde d'Angel Face.

    Zablo Le 28/02/2024 à 15:12:14
    Blueberry (La Jeunesse de) - Tome 3 - Cavalier bleu

    Dernier volume du préquel sous le pinceau de Giraud...

    le « Cavalier bleu », titre assez générique, poursuit la narration des mésaventures du jeune Blueberry pendant la Guerre de sécession (1861-1865).

    L'album compile un ensemble de trois histoires, qui se suivent plus ou moins, sorties auparavant dans l'édition poche du journal Pilote.

    Comme pour les deux tomes précédents, le style est plus relâché que dans la série principale, que ce soit pour le scénario ou pour le dessin.

    On apprend cependant deux trois choses sur notre cher Myrtille et les auteurs se permettent quelques fantaisies (flingueur dans un tonneau, vue du dessus, visages un peu caricaturaux...), mais l'ensemble reste assez consensuel.

    Or, il y a aussi des redondances (la tête de Blueberry est mise à prix à 1000 dollars, comme dans le cycle de Chihuahua Pearl etc.) voir des incohérences (je pensais que Mc Clure était apparu plus tard...) avec le reste de l'univers Blueberry.

    Probablement divertissant à l'époque...

    ...mais un peu désuet maintenant.

    Zablo Le 28/02/2024 à 15:04:43
    Blueberry (La Jeunesse de) - Tome 2 - Un yankee nommé Blueberry

    Suite du préquel...

    intitulé « Un yankee nommé Blueberry », car notre anti-héros se retrouve coincé entre le Nord et le Sud : servant de transfuge aux tuniques bleues, il est finalement considéré comme un rebelle par ces derniers et doit se sortir de cette cagade.

    Ce deuxième tome de la Jeunesse de Blueberry, succession de mini-récits, souffre des mêmes problèmes que son prédécesseur : moins ambitieux que la série mère, les planches ont été initialement réalisées pour un format plus petit et bon marché, d'où un rendu peu flatteur en album.

    De plus, le dessin de Gir est assez irrégulier, les visages du jeune Blueberry ne sont pas toujours réussis, à l'image de la page 34. La mise en couleur est tout aussi critiquable.

    Certes il y a des passages réussis, des surprises (retour du personnage d'Henriet, l'amour de jeunesse de Bluberry) et les auteurs s'amusent un peu avec la mise en scène (château d'eau qui s'effondre...).

    Mais l'ensemble reste assez convenu, on pourrait s'en passer...

    ...si ce n'est que c'est avec cette BD que Jodo à découvert le travail de Gir.

    Zablo Le 28/02/2024 à 11:52:20
    Blueberry (La Jeunesse de) - Tome 1 - La jeunesse de Blueberry

    Préquel de Blueberry...

    en trois historiettes.

    On y apprend ses origines, sudiste et esclavagiste, ses amours contrariés, son exil, ses premiers pas chez les tuniques bleues, son refus de tuer...

    Ces récits éclairent les motivations de Blueberry, donnent de la profondeur et justifient la complexité du personnage.

    Néanmoins, les dessins et la colorisation de cet album valent à peine les débuts de la série. Si les traits du jeune Blueberry sont assez constants, l'ensemble est assez pauvre, avec des décors réalisés à la hâte.

    Le scénario est un peu puéril, bizarre même parfois, quoique certains passages prêtent à rire (travestissement).

    L'ensemble reste claire et facile à lire, avec quelques effets de mise en scène bien sentis (notamment la vue subjective, qui apparaît ponctuellement depuis le Spectre aux balles d'or).

    ...à lire, quoique la qualité ne rivalise pas avec l’œuvre antérieure de Giraud et de Charlier.

    Zablo Le 28/02/2024 à 11:21:59
    Blueberry - Tome 15 - Ballade pour un cercueil

    Comme un long fleuve...

    L'aventure de Blueberry continue son cours inéluctablement, sous la plume abondante de Charlier et servie par le trait régulier de Giraud. Il s'agit cette fois-ci de découvrir le trésor... celui caché par Trévor.

    La qualité de la mise en scène et de la couleur sont indéniables. L'album a son lot de scènes bouillonnantes mais aussi, comme dans le Spectre aux balles d'or, des cases plus sinistres, de nuit et bleutées.

    S'apprêtant à remonter la rivière du Conchos, on retrouve les personnages principaux du cycle, réunis autour de notre héros en jeans, auxquels s'ajoute Hyéronimus, un vendeur ambulant et pharmacien casse-gueule, assez marrant... sa charrette s'avère être un élément clé pour faire avancer l'histoire.

    Fuyant par les méandres du Conchos, où ils manquent de se briser le cou dans les rapides. Ils sont attendus dans les roseaux de la confluence, où la rivière rejoint le Rio Grande, par les hommes de Vigo, mais aussi Kimball et Finlay, avec en prime, Bluberry ayant un contrat sur sa tête aux USA... un chasseur de prime.

    La frontière, matérialisée par le fleuve, ne met finalement pas un terme à leurs soucis...

    Autrement, si on revoit certains décors (notamment le rocher troué du tome 13, ici planche 13), l'ambiance de l'album diffère des précédents... Charlier jouant avec les possibilités scénaristiques, apportées notamment par les cours d'eau.

    Surtout les protagonistes, loin d'être tranquilles, sont constamment sous tension. Il y a au moins autant d'action que dans le tome précédent, avec là aussi son lot de scènes épiques : la découverte du coffre et les affrontements autour de l'église, où Chihuahua est restée seule ; la poursuite avec Lopez et son destin tragique ; le périlleux passage en bac, qui part à la dérive ; des fusillades et autres affrontements au revolver...

    Comme à son habitude, Charlier nous réserve un certain nombre de retournements de situation, rythmant efficacement l'ensemble.

    On apprend à mieux connaître Blueberry, notamment dans sa relation avec Chihuahua Pearl. Cette dernière se comporte en garce pendant tout l'album (le mouvement féministe n'a pas encore pris d'assaut le monde de la BD) et Blueberry lui répond violemment, non sans une once de misogynie.

    Car, quoique courageux et habile au combat, il reste un anti-héros de l'Ouest, un soudard maladroit avec les femmes, avec ses travers et qui subit quelques déculottées.

    Si son comportement peut parfois choquer, c'est bien sa rudesse, propre au genre du Far West, et la profondeur de son personnage, qui font qu'on reste immergé, qu'on y croit.

    En conclusion, ce cycle autour de Chihuaha Pearl, autre trésor gâché par Blueberry, et de la "Frontier", celle qui sépare les Mexicains des Yankees, "naturelle" et poreuse, mais aussi celle, plus abstraite, que les pionniers américains cherchent à repousser, aveuglés par leur soif d'or, démontre encore une fois les talents de Jean-Michel Charlier et de Jean Giraud.

    Ils savent toujours nous tenir en haleine, nous surprendre, usant d'un environnement...

    ...finalement assez capricieux.

    PS : au début de l'album il y a un (faux) dossier historique.

    Zablo Le 27/02/2024 à 14:24:53
    Blueberry - Tome 14 - L'homme qui valait 500 000 $

    Une couverture peu évocatrice...

    si ce n'est qu'on comprend qu'il y aura de l'action.

    La gestation de cet album a été plus longue, pour un résultat plus convaincant, que le tome précédent.

    Le scénario de Charlier, en particulier, est mieux ficelé, avec des dialogues plus incisifs. Il y a de nombreuses surprises et des retournements de situation à la pelle.

    Giraud aux manettes, la mise en page tout comme la mise en couleur sont mieux maîtrisées. On retrouve cette mise en scène typique de Blueberry, capable de surpasser les western de cinéma.

    En effet, l'album offre son lot de scènes fortes. Plusieurs d'entre elles sont restées gravées dans ma mémoire : les scènes de torture de Blueberry (notamment avec le bourreau chinois, assez stéréotypé), sa tentative d'évasion, le mariage forcé de Chihuahua Pearl avec Lopez (qui tranche avec la crasse ambiante), l'attaque du fort de Corvado avec un contingent d'anciens sudistes, un chariot explosif, des vaches en furie... et enfin la cachette de Trevor dans un aven.

    Au final, un concentré de bravades, de fusillades, de cavalcades... en gros de la testostérone en vois-tu en voilà. Mais aussi une touche féminine avec Pearl...

    ...faisant ressortir un monde rude et violent, où les protagonistes rêvent de luxe et de volupté.

    Zablo Le 26/02/2024 à 22:30:58
    Blueberry - Tome 13 - Chihuahua Pearl

    Un album un peu ennuyeux...

    mais qui pose les bases d'un nouveau cycle.

    Le lieutenant Blueberry cavale seul le long de la frontière, lorsque des soldats mexicains font irruption, poursuivant un mystérieux messager.

    En découle une histoire à dormir debout, où Blueberry est missionné pour dénicher un trésor de 500 000 dollars (200 000 de plus que les soldes des travailleurs du chemin de fer, dans le cycle précédent).

    Les graphismes sont dans la lignée du précédent tome. Le trait de Giraud est toujours aussi foisonnant. Il croque admirablement bien les intérieurs de Chihuahua, grouillants de culs-terreux et autres prostituées.

    Cependant, la mise en couleur, à la Valérian, ne convient pas et le découpage est inconstant (successions de plans identiques sur certaines pages...). Il y a peu d'innovations, si ce n'est le retour d'un univers mexicain... donc redondant au final.

    Ainsi, l'histoire est lancée sur un faux rythme, avec beaucoup de dialogues, assez plats et attendus, voir puérils par moments.

    L'album regagne en intérêt dans son dernier tiers, lorsque Blueberry arrive à Chihuahua. Un personnage féminin vient alors mettre un peu de piment au scénario de Charlier...

    C'est son visage qui illustre la couverture de l'album et c'est en effet elle que recherche sans le savoir Blueberry.

    Le rôle de Chihuahua Pearl s'avère plus important que celui de Guffie Palmer auparavant et moins stéréotypé que celui de Miss Dickson, dans les cycles précédents. Cette femme, au double jeu, attise la curiosité.

    Si elle reste cantonnée dans un rôle de femme fatale, intouchable, qui se met en scène dans un troquet sordide...

    Il n'en demeure pas moins qu'on s'attache à Chihuahua Pearl, plus pour son caractère bien trempé et son aura mystérieuse, que pour ses charmes de papier...

    Zablo Le 21/02/2024 à 23:32:39
    Le dernier sergent - Tome 1 - Les guerres immobiles

    Un regard dans le rétroviseur...

    Dans ce bouquin, au titre un peu martial, Fabrice Neaud revient sur son passé, comme il l'avait fait auparavant avec les quatre tomes du Journal.

    Si la couverture mystérieuse m'avait emballée, j'ai un peu déchanté en soupesant la BD dans mes mains. Je ne suis pas fan des gros spécimens... Mais je ne regrette pas de l'avoir achetée.

    Déjà, on y apprend beaucoup de choses : sur l'homosexualité bien sûr, mais aussi les rapports sociaux, les tyrannies de la distance, de la géographie urbaine... ou encore sur la BD. Tout cela, Neaud nous l'enseigne de manière plus empirique que théorique, en le plaçant de manière ingénieuse dans le récit, avec force d'exemples.

    Ensuite, la qualité graphique, tout de blanc et de noir, impressionne. Certes, les dessins à la plume de Fabrice Neaud n'ont pas cette instantanéité, propre à la « BD de papa ». Or, la précision du trait, sa clarté, mais aussi l'abondance des hachures, dégagent une force émotionnelle particulière. A la longue, j'ai eu comme l'impression que les personnages étaient entièrement dessinés avec des poils...

    A cet esthétisme, d'une certaine puissance virile, s'ajoute un découpage rigoureux, jusqu'à réfléchir aux césures des doubles-pages... On sent dans ce détail l'intelligence artistique de l'auteur, qui mène aussi une réflexion sur son propre travail.

    Les codes du langage graphique de Neaud intégrés, on peut apprécier la profondeur de son récit, d'une certaine honnêteté, avec des moments de justification, de remise en question et aussi d'auto-dérision. Sa liberté de ton fait plaisir.

    Sensible, rarement une BD n'a été aussi intimiste. Sans fard (je pense au moment où meurt sa sœur notamment...) elle est même crue par moments (scènes pornographiques).

    Néanmoins, Fabrice Neaud a aussi ses coups de gueule... Ses jugements, ses interprétations, sa rudesse verbale peuvent parfois choquer... j'ai eu alors un sentiment de rejet, j'ai pris du recul. Si je ne prenais que ces moments, pas sûr que j'apprécierais cette personne dans la vie réelle...

    D'ailleurs, la BD n'offre pas beaucoup de place à l'interprétation : l'auteur objective ses propos constamment... le texte dicte autoritairement le déroulement du récit, celui du réel, de la vie de Neaud, quitte à pointer du doigt quelques incertitudes de sa mémoire. Les graphismes passent presque comme secondaires.

    Et pourtant je m'y replonge, je m'y immerge de nouveau.

    Les dessins de Neaud ne sont pas que de simples illustrations, ils transcrivent aussi ses émotions, son énergie, ses sensations, ses fantasmes, ses obsessions... Ils prennent une place centrale dans l'explication des moments les plus intenses, les parenthèses heureuses (Antoine...)... ou non (violences homophobes...).

    Neaud, personnage (égo)central du récit, paraît alors plus humain. Il n'est ni un modèle ni une figure rassurante, ni même un ami voire un compagnon de voyage. C'est juste quelqu'un qui raconte sa vie, un peu merdique, mais de manière talentueuse et dans ce qu'elle a de plus touchant.

    Finalement, Neaud a su retranscrire dans sa BD une forme d'amour. Rarement consommé, il passe par l'intellectualisation, le voyeurisme, l'attente, la frustration, le passage à l'action,...

    Et enfin des tergiversations : est-ce un refus...

    Ou une invitation ?

    Zablo Le 19/02/2024 à 08:10:36

    En voulant faire une œuvre de contre-culture...

    Eric Judor, accompagné de Fabcaro, a réalisé une BD ou roman-photo.

    Théoriquement, cela aurait pu être sympathique : Eric est un acteur qui fonctionne bien, idem pour Fabcaro dans la BD.

    Ce roman-photo aurait pu être subversif, drôle, décalé, rendant un bel hommage à la pop culture.

    La réalité est différente... Cette BD ressemble plus à un film, à la Eric et Ramzy, sans queue ni tête, dont on aurait sélectionné quelques photos et ajouté des bulles... Mais sans les voix, la synergie du duo, le comique de situation, le mouvement, le sérieux de la réalisation... fade.

    Alors c'est régressif, ça c'est certain... c'est même grossier, puéril et attendu. Je n'ai pas eu de plaisir à lire cette BD. Je me suis clairement ennuyé.

    Les figurants que l'on y retrouve ont fini de m'achever (Alison Wheeler, Elisabeth Quinn... non merci). Or, j'imagine que ce sont les « fan-base » de ces « comédiens » et influenceurs qui ont dû attirer les lecteurs.

    Au final, on frôle l'indigestion, à cause de la lourdeur des blagues, mais aussi de la présence d'acteurs de la télé ou de youtube...

    Ainsi, à faire de la transmédialité...

    ...On en vient parfois à produire un peu de la merde.

    Zablo Le 16/02/2024 à 13:56:57

    Les difficultés psychologiques d'une mère au foyer...

    Sans surprise, Des maux à dire contient une histoire forte.

    La relation fille et mère, dont les rôles en viennent à se renverser, est particulièrement émouvante.

    La vie tortueuse de la maman, sa souffrance psychologique, suscite l'indignation voir l'incompréhension : comment en est-elle arrivée là ? L'ouvrage nous donnera finalement quelques éléments de réponse (traumatismes d'enfance, conditions de travail ou de vie difficiles, discriminations...), mais ce n'est pas si simple...

    On peut aussi être interpellé par l'emprise des uns et des autres (les sectes sur la maman, la maman sur ses enfants...), ou encore par les réponses insuffisantes du corps médical.

    Quand est-ce qu'on va se décider à soigner la maladie mentale avec dignité, à intégrer à notre société ceux qui en souffrent et non à les traiter comme des marginaux, les gavant de médicaments ?

    Des progrès ont sûrement été faits depuis le XXème siècle, mais cette BD témoigne autant de la persistance de la misère psychologique, que d'une prise de conscience récente de certains citoyens (voir des médecins eux mêmes) à ce sujet. Il y a encore de nombreux défis à relever !

    Enfin, la proposition graphique de Bea Lema est tout aussi ambitieuse qu'enrichissante. Ses planches, réalisées aux crayons feutres... et surtout en broderie, sont assez insolites (à part la tapisserie de Bayeux... je ne connais pas de planches de BD réalisées ainsi). Une belle réussite !

    Ainsi, sans être totalement révolutionnaire (il y a pléthore de BD autobiographiques et la conclusion pose encore pas mal de questions...), Des maux à dire est une BD innovante, marquante et résolument engagée. Quoique triste et un peu désespérée, cette BD a quelque chose de profondément beau... elle est sublimée par les liens d'amour qui lient ses deux acteurs principaux, la fille et sa mère...

    ...dont le destin repose sur l'aide salvatrice et solitaire de sa fille.

    Zablo Le 15/02/2024 à 23:11:55

    En marge...

    Le scénario de Monica est assez délirant : dès les premiers chapitres, on apprend ainsi que Monica a été abandonnée enfant par sa mère, une sorte de hippie un peu paumée...

    Mais, si je n'adhère pas totalement au propos de Daniel Clowes, qui nous fait un peu le SAV des années 70... j'ai quand même accroché.

    Car Daniel Clowes maîtrise son art. Il a un sens aigu de la mise en scène, les plans des cases étant choisis avec brio (ne serait-ce que pour le « générique » du début). Les regards spectateurs notamment ont le mérite de nous interpeller, de nous impliquer plus que ne le ferait une autre BD.

    On a aussi la sensation de rentrer dans un vieux Comics, avec des couleurs délavées, des ambiances d'époque...

    Les graphismes sont caractéristiques de Daniel Clowes, on ne peut pas se tromper : les contours épais des personnages font ressortir leurs silhouettes, tandis que de fines hachures, parfois obliques, leurs donnent du volume, une forme de vitalité.

    La narration est profonde, faisant appel à notre sens de l'image autant qu'à celui des mots. Cela veut aussi dire qu'il y a des monologues, en vois-tu en-voilà...

    Car la première personne du singulier, le « je », est central ici. Ce n'est plus le héros d'après-guerre, invincible et sur-protecteur, qui nous amène du réconfort, mais bien nous qui psychanalysons une héroïne mortelle. Exercice intéressant que celui d'être à l'écoute...

    Quoiqu'il y aussi des à-côtés dérangeants : le ton des personnages est parfois un peu pathétique, dérisoire voir un peu méchant... Ils s'écoutent parler... mais entendent des autres que ce qui les intéressent. Les bulles à demi-rognées en témoignent et nous renvoient aussi à nous, à notre façon de lire la BD.

    Mais quelle est la part d'empathie des personnages entre-eux, de l'auteur pour ses personnages, de la nôtre ? J'avoue à avoir eu du mal à m'impliquer totalement dans cette histoire, car j'ai parfois me-compris les motivations de l'auteur, son engagement, si ce n'est artistique.

    Je me demande si Daniel Clowes n'est pas devenu un peu conservateur, tant dans ses idées que dans la forme de son comics, dit « indé ». Le jugement est d'ailleurs une constante dans le récit, à la fois pour s'en moquer, mais probablement aussi pour en tirer un véritable enseignement moral... une forme d'éclaircissement dans toute cette folie.

    Comme Burns, le style de Clowes est maintenant bien établi dans le petit monde de la BD, à tel point qu'il est commercialisé par Delcourt, qu'on lui décerne des prix... Il est vrai que, comme d'autres auteurs de la scène indépendante, il a renouvelé l'art de la BD... Mais ça date déjà du début des années 2000.

    Néanmoins, j'ai lu cette BD avec un réel plaisir. J'aime la dimension onirique, surréaliste de cette œuvre. J'apprécie son look. J'admire aussi le travail, le génie de son auteur, qui est parvenu à capter mon attention.

    Cette BD a su me transporter dans un monde parallèle. Comme la parabole d'une vie, à la Moebius... son récit oscille entre des périodes de bonheur et des périodes de crise, mais aussi entre la clairvoyance et la folie, le réel et l'irréel, l'ordre et le chaos...

    Au final, c'est une belle histoire d'enquête, à la fois mémorielle et existentielle, qui miroite dans les zones d'ombres, celles des interstices propres à la BD.

    A nous de recoller les morceaux.

    Zablo Le 12/02/2024 à 08:33:42

    Attention !

    Avant de déguster ce grand, cru veillez à avoir le matériel adéquat ! Un bon lit, une paire de binocles et quelques feuilles de sopalin (pour les moments les plus intenses) sont nécessaires pour déguster cette grande BD, à sa juste valeur.

    Manipulez là avec précaution ! Les pages collant parfois un peu, veillez à les tourner sans les déchirer.

    Dernier conseil avant de vous lancer ! Il faut trouver le bon moment ! S'il y a trop de monde autour de vous, vous pouvez opter pour les toilettes.

    Puis, faites-vous plaisir ! Le grand-cru spécial Edika plait généralement aux garçons comme aux filles, de l'adolescence jusqu'à l'Ehpad.

    Mâchouillez bien les pages, tout en les gardant longuement en bouche et sans oublier d'aspirer de l'air par votre trou du cul, et vous devriez sentir son petit-goût absurde...

    Labellisé « Fluide glacial » et avec la désautorisation de la censure.

    Zablo Le 10/02/2024 à 17:25:44

    Œuvre marquante du tournant du siècle...

    Persépolis est une BD autobiographique. Marjane Satrapi y évoque sa jeunesse, tiraillée par les troubles politiques en Iran et son déracinement dans l'Europe libérale. Elle finit cependant par revenir au pays, remettant ce sombre et épais voile noir.

    De manière didactique, l'autrice nous prend par la main, amenant des repères historiques (révolution islamique, guerre Irak-Iran, guerre du Koweït...) et géographiques (toponymie, carte astucieusement placée...) clairs et concis, pour nous transporter dans son histoire et celle de son pays.

    Les dessins, dans un style persan, sont élégants, sans fioriture. Marjane Satrapi use du noir et du blanc pour composer les traits des visages, d'une grande régularité, ainsi que les formes et les volumes des décors... et leurs ombres aussi. Lumineux et obscur à la fois, cette bichromie accentue la dramaturgie de l’œuvre.

    Car la vie qu'elle traverse nous mouille parfois les yeux. Intimiste, familiale, la narration nous rapproche des personnages. On partage leurs peines, mais aussi leurs joies.

    En effet, le récit n'est pas sans humour, avec une forme d'autodérision de l'autrice sur sa jeunesse, mais aussi des caricatures des personnages les plus détestables...

    Ceci étant dit, le bouquin de Marjane Satrapi témoigne d'une réflexion sur les libertés : celle de pouvoir s'exprimer, mais aussi de manifester, de se déplacer comme on veut, de se réunir avec ses amis, d'être jugé équitablement... La privation de liberté en Iran contraste avec l'Europe et amène des incompréhensions, entre Marjane Satrapi et ses amis Européens... mais aussi Iraniens.

    Elle semble alors coincée entre deux mondes.

    L'arrivée de Marjane Satrapi en Europe est une petite révolution pour elle, un changement de paradigme qui se concrétise graphiquement : pâleur des décors et surtout Marjane ne sourit presque plus... Tout semble beaucoup plus triste, dans ce qui semblait pourtant être un échappatoire à la tyrannie iranienne.

    Ce bouleversement n'est pas non plus sans lien avec son entrée dans l'adolescence. Son corps se transforme, elle expérimente (drogue, sexe...), change de look... C'est une période difficile pour elle au final, car confrontée à la xénophobie, à l'éloignement de ses proches...

    Ainsi, Marjane Satrapi parvient à représenter la violence, pas seulement celle de la guerre mais celle de la vie en générale. Elle y parvient dans une forme de déplacement poétique, par des discussions, des symboles, des visages marqués (cernes, yeux vers le bas, bouche triste...), des effets graphiques et autres chiasmes de la mise en page...

    A contrario, le témoignage de Marjane Satrapi contient aussi ses solutions : les repères (valeurs inculqués par ses parents, culture persane...), les personnes (ses parents, sa grand-mère...), les dynamiques (affirmation, rire...) qui lui ont permis de s'en sortir. L'autrice fait en quelque sorte office de grande sœur.

    Le propos est consistant, avec des thématiques aussi diverses que la religion, la politique, les discriminations... Les dialogues sont d'ailleurs nombreux, avec une grande part d'introspection voir d'autocritique de la part de l'autrice, et donnent toute sa profondeur au récit. Les dessins aident également à se rendre compte de l'apparence des personnages, de leurs émotions (leurs visages sont comme des smileys), de leurs souvenirs et de leurs rêves aussi parfois...

    Le temps s'y déroule lentement, avec des flashbacks, nous laissant apprécier l'évolution des personnages, en particulier celui de Marjane.

    En résulte une œuvre majeure, dans la lignée de Maus, roman graphique ayant servi de modèle pour Persépolis. Il ouvre une nouvelle ère pour la BD franco-belge, celle du réel et de l'éclatement des formats. L'Arabe du futur par exemple, de Riad Sattouf, fait partie de cette nouvelle vague.

    BD alternative au regard nouveau, Persépolis a été très bien accueilli et est devenu un blockbuster, encouragé par une critique unanime, un film (2007) et trustant les rayons BD des bibliothèques scolaires.

    Avec Persépolis, la BD iranienne rentre aussi dans l'Histoire du neuvième art, source d'inspiration pour de futurs dessinateurs ou caricaturistes (je pense notamment aux Oiseaux de papier, où l'on reprend l'image de la tisseuse de tapis).

    Surtout, Marjane Satrapi aura su nous transporter dans son enfance, à la fois singulière et commune à tous, avec une sortie de l'innocence compliquée, mais forte en apprentissage.

    Persépolis est enfin un plaidoyer pour le sort des femmes...

    ...dont l'émancipation constitue le but, le point final.

    Zablo Le 06/02/2024 à 07:36:04

    Pas besoin de vous droguer, Dope rider le fait à votre place !

    Une anthologie des shots du squelette toxico, mais aussi d'autres récits de Paul Kirchner (l'auteur, qui apparemment serait clean...), comme les travailleurs aveugles de la Ruche, en passant par la sexualité des poupées à minuit.

    On ne sort pas indifférent de cette lecture...

    Certes, les histoires ne sont pas toujours intelligibles, mais c'est bien parce que les décors simulent un trip dantesque, au goût des années 70.

    Le tout est harmonieusement surréaliste, les graphismes faisant forte impression, avec des décors particulièrement soignés. Mais, pour apprécier cette œuvre, il faut faire appel à son inconscient : Cartésiens, fuyez !

    De plus, des explications viennent étayer la fin du bouquin.
    Kirchner y explique, sans fard, son parcours, ses rencontres, ses méthodes de travail, ses galères, ses chances...

    Clairement, c'est pas un gugus. Paul Kirchner maîtrise son art.

    J'aurais aimé que Kirchner ait au moins 1% de la notoriété de Daniel Clowes en France (d'ailleurs si BDthèque pouvait arrêter de me bombarder de pubs de Monica ça serait cool...), j'aurais aussi souhaité que les auteurs de Dali s'en inspirent... Je suis un grand rêveur.

    A découvrir sans tarder.

    Zablo Le 04/02/2024 à 15:36:22

    Pour ma part...

    j'ai trouvé cette BD intéressante. C'est la troisième que je lis du Cil Vert et je suis de plus en plus convaincu par son style.

    Si on peine à rentrer dans cette BD, notamment à cause de passages peu crédibles : je pense en particulier aux bizutages des gedzarts, si déconcertants avec leurs looks que j'ai cru à une fiction...

    Le récit reste clair, sensible... On apprend des choses, sur l’École des Arts et Métiers surtout, mais aussi les ressentis de l'auteur sur son parcours de vie...

    La narration témoigne de ses réflexions sur certains sujets, quoiqu'on peut parfois être en désaccord avec lui...

    Le bizutage à l'ENSAM est-il si négatif ? Faut-il rentrer dans le moule pour vivre avec dignité ? Est-ce qu'on a le choix ? Comment s'émanciper, quand on est une femme ou un homme ?

    Simple, personnel...

    ...mais riche en enseignement.

    Zablo Le 04/02/2024 à 15:12:58

    Une œuvre qui a fait du bruit...

    Martin Panchaud raconte, dans La couleur des choses, l'histoire d'un jeune homme en proie au harcèlement, dont un ticket gagnant, aux courses hippiques, va changer la vie...

    D'entrée, on est surpris par la représentation des personnages, en forme de ronds, vus du dessus. J'ai donc dû utiliser mon imagination.

    Mais, l'identification aux personnages reste laborieuse et on peine à s'immerger dans l’œuvre. De ce fait, on garde un certain recul...

    Un peu monotone (notamment avec des enchaînements de cases équivalentes), j'ai dû faire des pauses en lisant cette BD, avant d'y revenir, animé par une forme de curiosité. Les dialogues, nombreux, font avancer l'histoire, mais sont aussi plein de pathos...

    Par contre, ce qui impressionne, dans le sillage de Chris Ware, c'est la complexité graphique de l’œuvre : mise en page millimétrée, découpage composite, plans variés et inserts de pictogrammes ou autres représentations infographiques... donnant une énergie singulière à l’œuvre.

    Tout est justifié, rien n'est gratuit et les intrigues finissent par se croiser, dans une conclusion explosive.

    A ce titre, le talent de Martin Panchaud est immense. Sorti en 2023, La couleur des choses a d'ailleurs cumulé les prix, parmi les plus prestigieux (ACBD 2023 et FIBD 2024). Mais elle est aussi restée inaudible, pour une partie des lecteurs...

    Personnellement, je n'ai pas passé une expérience inoubliable.

    Si j'apprécie cet angle de vue inédit, que je préfère aussi juger les personnages par leurs actes et non par leur apparence physique, que la narration est aussi claire qu'innovante graphiquement...

    ...Je n'ai pas eu « d'effet Waouh ». Comment pourrais-je d'ailleurs être émerveillé, par une BD dont l'intérêt principal est d'utiliser des plaquettes d'information, comme outil de narration ?

    Néanmoins, le défi relevé par Martin Panchaud était colossal : en définitif, il est parvenu à créer un ouvrage qui tient la route, en prenant le contre-pied des vieux classiques et en construisant son propre langage BD. On finit d'ailleurs par avoir une forme d'empathie pour ce jeune r... garçon de 14 ans.

    Plus qu'une BD, Martin Panchaud a fait de « l'art neuf », comme pourrait dire Benoît Peeters...

    Zablo Le 03/02/2024 à 21:16:13

    Une BD avec matière à penser...

    qui en surprendra plus d'un.

    C'est le présent qui nous y est raconté, mais à la manière d'une histoire de saint médiévale : il y a des passages absurdes et on ne comprend pas tout. Cependant, ce néo-Saint-Nicolas, à l'allure d'un playmobil, finit par faire des miracles.

    Évidemment, les lecteurs d'extrême-droite ou les béni-oui-oui n'y trouveront pas leur compte...

    ...Parce que ce bouquin est une façon de dénoncer l'hyper-sécurisation, les politiques anti-migrants, le rapprochement de Macron et de Le Pen (planche 71), les problèmes écologiques et autres catastrophes climatiques... en bref, les difficultés qui s'annoncent pour nos enfants...

    ...Mais les autres pourront profiter de cette bouffée d'oxygène, cette liberté de ton, ces graphismes puissants, ce découpage personnel (de deux cases par page, l'auteur complexifie ensuite son découpage comme pour la planche 46).

    Une lecture sensible et résolument engagée...

    Qui laisse une lueur d'espoir.

    Zablo Le 03/02/2024 à 20:34:13
    Undertaker - Tome 1 - Le Mangeur d'or

    Une série western qui ne révolutionne pas le genre...

    ...quoiqu'elle est parmi les meilleurs du moment.

    Le trait, de Ralph Meyer, rappelle celui d'autres dessinateurs célèbres : hachures à la Jean Giraud (not. Blue... Undertaker) ou dessins pulpeux de Boucq (Lin ou le manchot des tomes 3-4)...

    L'esprit des réalisateurs Sergio Léone et surtout Quentin Tarantino transpire aussi dans le scénario, de Xavier Dorisson : je pense à la caravane de Jonas Crow et son haut de forme à la docteur king Schultz.

    On reprend donc des recettes qui marchent, de façon plutôt efficace : personnages badass, scènes d'action époustouflantes, des bandits (pas toujours ceux qu'on croit), des redresseurs de tort (pas forcément si gentils), des femmes, du love et un peu d'humour aussi, et enfin des décors frappants...

    Si ce n'est pas hyper novateur, que les dialogues peuvent être un peu simplistes aussi et que j'ai commencé à décrocher à partir du tome 3...

    ...cela reste une façon plaisante de prolonger l'expérience Blueberry.

    Zablo Le 02/02/2024 à 21:55:23

    MiYaZaKi !

    Un beau livre, sorti des cartons poussiéreux du maître japonais. On retrouve ici son trait, rehaussé par des couleurs pastel... Rafraichi.

    C'est visiblement aussi une matrice, celle des films d'animation Ghibli. En ce sens, le bouquin est assez intéressant...

    ...et, du même coup, assez redondant aussi. L'impression de déjà vu est constante.

    L'histoire est courte, avec beaucoup d’ellipses. Plutôt réalisé à la façon d'un livre illustré, La narration externe n'arrange pas les choses...

    ..petit à petit on pique du nez. Ce n'est pas une grande expérience de BD.

    Si on lui préférera le plaisir de lecture du manga Nausicaa, beaucoup plus long et approfondi...

    ...ça reste une curiosité, qui laisse rêveur.

    Zablo Le 02/02/2024 à 07:25:09

    Une bonne BD dans l'ensemble.

    Je n'ai pas accroché tout de suite, notamment à cause du format roman graphique qui me décourage parfois : c'est long, les parties en gaufrier ne m'attirent pas trop et le lettrage est un peu mou.

    Cependant, l'histoire est attrayante et j'ai fini par passer un bon moment, le temps de rentrer dedans.

    Pour conclure, les graphismes sont intéressants et amènent une forme de douceur froide, loin du ton pathétique (un peu comme dans le Sommet de Dieu) ou hormonal (à la Blain) d'usage classique dans ce genre. Un flegmatisme qui sied bien à cette histoire d'aventure, pourtant un peu folle.

    Néanmoins, elle s'inscrit dans les tendances de l'époque, à la recherche d'un réalisme parfois sans émoi. En ce sens, je n'ai pas été très surpris.

    Zablo Le 31/01/2024 à 21:43:41

    En Avant !

    C’est la traduction littérale du titre en langue Lakota, clin d’œil à la série Blueberry, où les auteurs utilisent abondamment ce cri dans les bulles, pour illustrer les offensives des Sioux et autres Apaches...

    Car cette BD s’inscrit dans les nombreuses mutations du western, depuis les années 60. En d’autres termes, elle fait du neuf avec du vieux.

    Entièrement scénarisée et dessinée par Neyef (artiste montant de l’écurie Label 619...), l’histoire est résolument progressiste, dans l’ère du temps : les personnages principaux (Little Knife, No Moon... et aussi un enfant, qu’ils et elle prennent sous leurs ailes, quoiqu’on dirait un Mexicain...), sont essentiellement issus des minorités opprimées (Amérindiens, Irlandais...). La nature y est omniprésente et le discours presque écologique (animisme Lakota).

    Le découpage est moderne, sans fioriture. Les dessins sont beaux, si ce n'est que j’ai commencé à apprécier les dessins vers le milieu de l’album seulement (magnifique feu de camps sous les étoiles, au détour d’une page...). D’ailleurs, les paysages chaleureux adoucissent l’album... entrecoupé sinon de scènes violentes : âmes sensibles s’abstenir, comme on dit...

    Le scénario est intéressant, quoique les dialogues ne m’ont pas emballé (c’est pas Charlier...). Les protagonistes principaux, pour ne pas dire les héros, sont loin d’être lisses : comme on s’y attend un peu, ça tue du pionnier blanc... mais le patriarcat amérindien est lui aussi sévèrement critiqué.

    De fait, les personnages chevauchent librement, se perdant parfois, sans autre projet que de survivre, échapper à un chasseur de prime... et se venger. Déracinés, méfiants vis-à-vis de la « civilisation » qui les entoure, ils n’ont plus que des repères triviaux, eux aussi... Comme des adolescents en quête d’identité, d’émancipation, d’un apprentissage différent..

    Or, la violence y est souvent gratuite, excessive même, la conception de la justice étant comment dire... particulière. A vivre en dehors des limites, il est naturel d'en arriver à une forme de bestialité.

    C’est bien ça qui me choque, ainsi que le regard toujours plus acide sur les colons, dégénérés, et aussi sur les Amérindiens, non plus perçus comme des sauvages, mais comme une civilisation tout aussi cruelle.

    Au final, si j’ai apprécié le progressisme de cette œuvre, reflet de notre propre société, ainsi que la qualité du travail de son auteur, je reste dubitatif quand à l’objectivation de cette violence. Je lui préférerais l’intensité suggérée, celle du trait ardent de Giraud...

    Mais au moins, j’aurais appris ce que veut dire « Hoka Hey ! ».

    Zablo Le 25/01/2024 à 13:00:13

    Une belle BD...

    bien écrite et bien illustrée, qui conviendra aux petits comme aux grands.

    A l'heure où le racisme et autres idées réactionnaires sont banalisés dans les médias, cette BD nous offre un bon bol d'air frais, parlant de la situation migratoire en Côte d'Opale, avec justesse et simplicité de ton. Mais, si la question est épineuse, est-ce que le propos détourne les jeunes de la réalité ?

    Sans surprise, Calais sert de lieu de transit aux migrants, désireux de rejoindre l'Angleterre (c'est l'entrée du tunnel sous la Manche). Une partie d'entre eux réside maintenant dans des squats, puisque les camps de migrants, mis en place de manière informelle dans les années 2000, ont été détruits par les autorités, parfois avec le concours de groupes de vigilantisme, proches des milieux d'extrême-droite.

    Si une partie des Calaisiens se sent incommodée par cette présence et cherche donc à les éloigner, la vie des migrants est loin d'être de tout repos, harcelés par la police et les autorités locales. Car il s'agit bien de réfugiés, pour une grande partie d'entre eux. Leur nombre a d'ailleurs considérablement augmenté depuis la guerre en Syrie, en 2011. De ce fait, parce qu'ils rêvent d'une vie meilleure, ils sont prêts à prendre des risques insensés, pour passer la Manche clandestinement. La « sécurisation » de la frontière n'a fait qu’accroître le risque de cette traversée. Il y a pourtant des enfants parmi eux...

    Ainsi cette BD, qui représente de jeunes migrants fuyant la guerre (« les bonhommes de pluie »), se terrant dans des squats, en attendant de tenter la traversée de la Manche, est tout à fait représentative de la situation réelle.

    De plus, elle a le mérite de parler d'un sujet sérieux sans passer par un ton pathétique. Il est normal que ce sujet intéresse aussi les enfants...

    ...d'ailleurs parfois plus perspicaces que leurs parents, dans l'incapacité d'expliquer correctement les phénomènes de migration et leur concrétisation sur le terrain.

    Zablo Le 25/01/2024 à 07:24:20

    Une BD patrimoniale intéressante.

    Un auteur, Kristen Foinon, qui laisse une BD inachevée en 1996. Finalisée récemment par une graphiste et éditée en 2021.

    Un personnage historique, Jules Le Gall alias "Gueule d'Or", anarchiste à Brest et mort à Buchenwald pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Un résultat saisissant. Tout en noir et blanc, dans la tradition des Seiz Breur, les graphismes ont quelque chose d'hypnotique, avec un enchevêtrement des formes.

    On y reconnaitra le vieux Brest des cartes postales...

    Celui où s'engager voulait parfois dire donner sa vie.

    Zablo Le 24/01/2024 à 21:44:25

    Mais qu'est-ce que c'est que ce livre ?

    Je me suis posé la question, dès la couverture... Une simple ligne, traversant les cases, illustre les deux premières pages. Puis, progressivement, apparaissent des personnages, du texte et une narration.

    Dans un style très personnel, Lukasz Wojciechowski met ainsi en scène un dessinateur industriel, encore marqué par la Grande guerre...

    L'ouvrage est assez incommodant au premier abord, avec des dessins numériques, d'une simplicité quasiment infantile. Il faut s'accrocher.

    Passer cette étape, c'est accepter que l'ouvrage nous prenne aux tripes, que les graphismes avivent nos émotions : calme inquiétant, aphasie, bruits abrutissants, DUMDUMBUDUM, monotonie, fureur, mortification, DUMDUMBUDUM, kaleidoscpoe hypnotique, apaisement...

    Au final, on entre dans la tête du personnage, on pense, on ressent avec lui.

    Mais l'ouvrage a plusieurs niveaux de lecture. Au delà des approches artistique et narrative, l'auteur a aussi une démarche historique : en 1919, l'Europe occidentale s'industrialise à vitesse grand V. Tout est standardisé, mécanisé, rationalisé, au millimètre près. Ingénieurs, chercheurs ou même psychologues, prennent une place nouvelle dans cette organisation scientifique du travail.

    Ainsi, Lukasz Wojciechowski réalise une BD déroutante, mais réellement engagée et riche d'enseignement...

    C'est une œuvre minimaliste, d'avant-garde et c'est aussi un objet particulièrement fascinant.

    Inclassable.

    Zablo Le 24/01/2024 à 16:26:15

    Une œuvre fleuve...

    Matthias Lehmann, auteur complet sur cette BD, réalise quelque chose de rare : suivre une famille brésilienne sur le temps long, de 1937 aux années 2000. Autofictionnel, l'auteur a puisé dans ses propres souvenirs de famille pour faire ce livre.

    Le challenge est immense ! L'auteur a du accumuler une somme de travail colossale pour arriver à ce résultat. Mais quelle maîtrise de Matthias Lehmann, c'est bluffant, à en être jaloux !

    L'histoire est particulièrement dense, profonde. Matthias Lehmann restitue avec réalisme l'ambiance du Brésil contemporain, en en soulignant les enjeux (dictature, patriarcat, partage des richesses, insécurité, sexisme, ségrégation, corruption...), tout en développant les ramifications de son scénario avec brio. Il n'hésite pas à mettre en évidence certaines contradictions : comme celles de Severino Wallace, fils à papa qui passe par le communisme, avant de devenir un richissime auteur de romans...

    Le découpage des pages est tout aussi intelligent. Si les compositions de Lehmann sont variées, ses choix sont toujours justifiés. L'ensemble est très dynamique, avec des respirations de temps en temps (doubles ou pleines pages) et le livre ne m'est pas tombé des mains, ce qui est régulièrement le cas quand je me lance dans un roman graphique.

    Ses dessins, au stylo, sont également très plaisants. Un peu comme dans La vengeance de Croc-en-jambe (du même auteur), les protagonistes du livre ont l'allure de pieds-nickelés, littéralement. Longtemps auteur de fanzines, la composition graphique de Matthias Lehmann grouille de traits, de hachures et autres canevas. De cette manière, il souligne la couleur de peau, la crasse ambiante ou encore l'âge de ses personnages, qui vieillissent inexorablement.

    Ces graphismes, qui évoluent à chaque chapitre, influencent notre discernement. Tout est en noir et blanc. De cette façon, Lehmann voulait « éviter de faire du tropicalisme ». Ainsi, on peut parfois être attristé par une scène dramatique, souvent soulignée par une case plus grande, une mise en page spécifique. Inversement, les personnages, aux looks un peu caricaturaux, prêtent souvent à sourire. Car, finalement, la vie de ces personnages n'est pas totalement tracée, elle est aussi assez absurde, avec de nombreuses situations imprévues. Cela tempère pas mal nos émotions : on n'en vient jamais aux larmes, mais on ne rit pas non plus à gorge déployée...

    De ce fait, je n'ai rarement eu d'émotion forte en lisant ce livre, qui alterne entre le chaud et le froid. Mais, j'ai apprécié plonger dans une certaine ambiance, dans un ailleurs, un autre temps... et découvrir les vies de ces personnages, tout en relief.

    Une certaine perception des années de plomb brésiliennes (Chumbo)...

    à lire et à relire.