
La terre verte
Une BD de Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle - Delcourt (Mirages) - 2025
Aux derniers temps du Moyen Age, les ultimes descendants des Vikings tentent désespérément de survivre sur les rivages glacés du Groenland. Un homme au lourd passé, en quête d'une seconde chance, débarque parmi eux. Leur apportera-t-il le salut ou précipitera-t-il l'effondrement de la « Terre verte » ?
Un album dense mais vide de sens. Comme le Groenland de l'époque en fait ! Dommage quand on connait l'excellent travail des auteurs... Un raté pour moi.
Un album comme je les adore. Épais, maitrisé, abouti, crépusculaire, fascinant. Avec un personnage – messire Richard – qui porte littéralement l’ouvrage sur ses épaules bossues.
Il semble qu’Alain Ayroles ait conçu « La Terre Verte » comme une continuité de » Richard III » de William Shakespeare. Il lui emprunte en tout cas une théâtralité pleinement assumée.
D’abord, comme dans toute pièce classique, l’album se divise en 5 actes (et 26 scènes).
Ensuite, autre procédé issu de l’art dramatique, Richard s’adresse par deux fois directement au lecteur, en le regardant dans les yeux, pour lui livrer ses pensées les plus inavouables. Exactement comme un comédien le ferait durant une représentation, pour se faire un complice du public.
Enfin, qu’il soit affublé de son armure ou engoncé dans son manteau qui le fait ressembler à un corbeau, Richard n’est pas tant un homme qu’un « personnage », au sens littéraire du terme. Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle en font une allégorie du Fléau. Comme Aguirre était « la colère de Dieu » dans le film de W. Herzog, Richard est une âme impénétrable dans un corps déformé, pour qui la fin justifie tous les moyens. Et dans son sillage, ce sont tous les protagonistes qui deviendront par le même biais les jouets du Destin.
Ces dispositifs narratifs créent la juste distance pour vivre cette histoire sous l’angle de la geste. Car l’intention des auteurs est claire. Il ne s’agit nullement d’un récit historique mais bien d’une fable, dans laquelle le lecteur peut se laisser emporter librement, les yeux écarquillés et l’esprit ébaudi par tant de vilenie.
Le scenario ne s’embarrasse d’aucune circonvolution inutile, ni de rebondissements alambiqués. Impitoyable, fluide et linéaire, la narration va crescendo pour se conclure sur un sommet de dramaturgie : un sujet devenu objet, prêt à s’effacer. Quelle plus belle métaphore de la vanité ?
« La Terre verte » est une fresque habitée, une épopée obscure à la symbolique universelle et puissante. Alain Ayroles, inspiré par d’illustres références nous propose une saga terrifiante ; une de celles qu’on aurait pu se raconter jadis autour du feu pour conjurer la malédiction des hommes avides de pouvoir...
Et le pire est que ces hommes-là existent toujours aujourd’hui. Car la soif de conquête est, et restera, inextinguible.
Je présume que cet album ne fera pas l’unanimité. Il est peut-être trop sombre et trop châtié.
Mais pour son scénario rigoureusement construit, pour son écriture dans ce français précieux qu’Alain Ayroles manie à merveille, pour son dessin d’une lisibilité exceptionnelle, qui je l’espère, consacrera enfin Hervé Tanquerelle comme le grand auteur qu’il est, « La Terre verte » est à mes yeux une bande dessinée brillante.
Rajoutons que les couleurs de la talentueuse Isabelle Merlet sont également superbes.
Dans un souci d’objectivité, je note toutefois deux défauts, parmi d’autres sans doute : la typographie de Tanquerelle n’est pas adaptée au style.
Et, comme dans « Groenland vertigo », l’environnement est à mon avis sous-exploité. Avec quelques belles planches de paysages en plus, le Groenland de « La Terre verte » aurait pu devenir un personnage à part entière, antagoniste parfait de messire Richard…