
En territoire ennemi
Une BD de Carole Lobel - L'Association (Ciboulette) - 2024
Alors qu’elle est encore adolescente, Carole prend ses distances avec sa famille catholique et ses valeurs traditionnelles. Solitaire et repliée sur elle-même, elle entre à l’école des beaux-arts de Nantes où peu à peu, elle reprend confiance en elle. C’est alors qu’elle rencontre Stéphane. Stéphane est beau, plein d’assurance, et surtout, il s’intéresse à elle. Carole tombe sous le charme et s’investit dans cette relation. Mais rapidement, elle se retrouve isolée, coupée des autres et du monde, à mesure que Stéphane, embrigadé par des discours... Lire la suite
Une BD pas inintéressante du tout...
Sur le plan formel, le style de l'autrice, qui ne trompe pas (le nom de la couverture, qui n'est pas sans faire penser au fusil des poilus durant la Première Guerre mondiale ou bien à l'inventeur de la dynamite, est évidemment un pseudonyme), est particulièrement expressif et prend tout son sens ici. Le découpage, d'une grande efficacité, rendant la lecture ultra addictive, et la composition, franchement libre, sont à couper le souffle. Les couleurs, aux stylos à bille (rouge, noir, vert), tirent également dans ce sens. D'aucuns diront que c'est assez moche, mais en même temps, quand on voit la personnalité de « Stéphane », archétype du connard universel, l'esthétisme de l’œuvre est on ne peut plus seyante.
Le scénario, auto-centré sur le personnage de « Carole », mais aussi sur son conjoint, qui lui bouffe littéralement la vie, interroge la place des hommes et des femmes dans notre société moderne. Je ne saurais dire si c'est une fausse fiction ou un témoignage maquillé, mais force est de constater que cette BD nous prend par les tripes et dénonce, une fois n'est pas coutume, les violences sexuelles faites aux femmes (en ce sens, la BD d'Alix Garin, Impénétrable, me semble un bon parallèle, parce qu'elle est particulièrement intimiste, que le rôle du compagnon est beaucoup plus positif, parce qu'Alix a su dire « Non », « Stop », « J'ai pas envie », « ça me fait mal », « je vais voir ailleurs »...).
Cependant, je me demande si cette BD exutoire n'aura pas l'effet inverse que ce qu'on aurait pu escompter, c'est-à-dire amener à des rapports non violents, apaisés entre les hommes et les femmes, dans tous les sens du mot « rapports ». Pourquoi ? Parce que les réflexions intellectuelles de cette BD restent, à l'image de « Stéphane », dont l'idéologie masculiniste s'insinue partout jusqu'à la couverture, assez bas-du-front, avec de nombreux raccourcis, peu d'explications ou de solutions. Le propos est assez désespérant en réalité...
L'autrice semble d'ailleurs confondre les idées de gauche avec le vernis rebelle de « Stéphane », amalgame un peu facilement l'extrême gauche avec l'extrême droite, l'anti-fascisme et le fascisme. Pas trop étonnant que ça n'ait pas froissé Angoulême... D'ailleurs, la présidente du jury s'est émerveillée de la qualité de la sélection... Et encore, elle n'a pas lu toutes les excellentes BD qui n'y étaient pas...
...Prix Spécial du jury au FIBD 2025.